par René Prédal
Jeune Cinéma n°288, avril 2004
Sélection du Chicago International Film Festival 2004
Sorties les mercredis 3 mars 2004 et 23 octobre 2024
Charlotte trime à écrire un roman porno, mais elle n’est pas douée. D’ailleurs tous les comparses qui se croisent autour d’elle trouvent que ce qu’elle a consigné sur son ordinateur est furieusement comique. Sauf elle, qui se juge plutôt de nature triste et sans imagination. Heureusement, le réel lui fournit des idées en attendant que sa colocataire du studio finisse par écrire à sa place.
Et puis, comme embrayeurs scénaristiques, il y a aussi les odeurs (du poulet aux fines herbes ou du désinfectant), le souvenir des origines (juives polonaises), et la musique (celle du piano de sa mère ou des disques) qui enchante tout le monde.
Comédie de mœurs ? Oui, s’il faut vraiment ranger le film dans un genre. Mais son charme, désuet, décalé, bric-à-brac un peu grunge, vient justement de son caractère inclassable, de ses personnages instables, incapables de se fixer et dont aucun n’évoluera comme on pouvait l’attendre. Les décors font littéralement le film - on pense à On connaît la chanson de Alain Resnais (1997) pour le ballet des visites d’appartements : vivants, provoquant rencontres, situations loufoques, contre-rythmes et ruptures de récit…
L’espace se remplit en outre à plusieurs reprises d’une épaisse fumée, sortant de l’aspirateur ou du four à micro-ondes, cette incursion culottée de la mémoire des camps n’étant pas sans figer chaque fois la légèreté du regard par ces soudains inserts d’esprit de sérieux. Le couple mère-fille du début gémine, au dernier moment, dans l’idylle des troisièmes âges, et dans l’improbable réunion des deux jeunes femmes dont une goualante nous chante à la fin qu’elles vont élever seules le bébé non désiré de l’une et pouponné par l’autre.
Quant au livre de Charlotte qui semblait tout désigné pour faire avancer l’intrigue, il y a alors belle lurette que, ballotté, nié, réécrit au gré des rebondissements balayant doutes et angoisses créatrices, il n’est plus que la caricature trompeuse de la vraie vie désormais substituée aux balbutiements de la fiction.
René Prédal
Jeune Cinéma n°288, avril 2004
Demain on déménage. Réal : Chantal Akerman ; sc : C.A & Eric de Kuyper ; ph : Sabine Lancelin ; mont : Claire Atherton ; mu : Sonia Wieder Atherton. Int : Sylvie Testud, Aurore Clément, Jean-Pierre Marielle, Natacha Régnier, Lucas Belvaux, Dominique Reymond, Elsa Zysberstein (France-Belgique, 2003, 110 mn).