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Passion selon Béatrice (la) (2024)
de Fabrice du Welz
publié le mercredi 20 novembre 2024

par Francis Guermann
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection Fuori Concorso du Festival de Locarno 2024

Sortie le mercredi 20 novembre 2024


 


Quel étrange et bel objet que ce film hybride, documentaire fictionnel dont le projet est une quête : emmener Béatrice Dalle sur les pas de Pier Paolo Pasolini. Dans cette traversée de l’Italie sublimée par un subtil noir et blanc, elle est accompagnée par l’acteur Clément Roussier qui assure à la fois les rôles de guide amical et d’interprète.


 


 

On les suit à travers le pays, sur les traces de ses films, leurs décors, ses lieux de vie et de mort, à la recherche de La rencontre, du moment de grâce retrouvé dont elle rêve. Béatrice Dalle avoue un amour sans fin pour le réalisateur et poète dont les initiales sont tatouées sur son épaule, aux côtés d’évocations de Jean Genet ou de Ingmar Bergman. Elle est aussi un personnage baroque, femme cash et passionnée, à fleur de peau, qui dit d’elle-même : "Je suis le degré zéro de la meuf romantique mais je suis le degré mille de la meuf romanesque".


 

Alors cela commence par un poème, "Je suis une force du passé" (1), dans une belle traduction et dit par Béatrice Dalle, qui est un texte fort et représentatif de la pensée singulière de Pier Paolo Pasolini et de ses rapports au monde. Cela débute aussi dans le Frioul, à Casarsa della Delizia, son village d’enfance où se trouve aujourd’hui sa modeste tombe. Puis nous suivons l’actrice à Venise, Bologne, Ostie, Rome, Castel del Monte, Matera et Ginosa, chaque étape donnant lieu à une double rencontre, celle avec un lieu et celle avec une personne : habitant du lieu, responsable de cinémathèque, réalisateur (Abel Ferrara) ou collaborateur de Pier Paolo Pasolini, qui, tous, apportent un élément, une petite pierre à cette quête, sans jamais la résoudre, la complexifiant même, alors que l’actrice, toute entière envahie par ses émotions, se transfigure peu à peu en personnage pasolinien : Mamma Roma ou Médée, Mater Dolorosa dont les larmes inondent le visage. "Je suis la personne qui a un quota de larmes bien plus élevé que le commun des mortels", avoue-t-elle à Clément Roussier.


 


 

Celui-ci l’emmène sur les lieux de tournage de L’Évangile selon Saint Mathieu (1964), le village troglodyte de Ginosa dans les Pouilles, puis les falaises de Matera où se termine le film, lieu d’inhumation du Christ et de sa résurrection, après laquelle apparaît un ange (une fillette) aux yeux très clairs, au regard perçant et plein d’amour. Cet ange est l’actrice Rossana Di Rocco, aujourd’hui femme d’âge mûr qui a gardé ce même regard clair et cette expression bienveillante. Lorsqu’elle rejoint Béatrice Dalle sur cette falaise de Matera où se clôt le film, c’est entre elles un échange muet et chargé d’une intense émotion. La quête du film est à la fois une quête humaine et la recherche de l’esprit des lieux, à travers le paysage, l’architecture, la musique, la peinture. Les lieux de Pier Paolo Pasolini sont emplis du passé, de légendes, d’hypothèses (celles sur sa mort sur la plage d’Ostie). Le génie du lieu, sa singularité que la modernité tente d’effacer - un habitant Ginosa montre à Béatrice Dalle la forme d’un visage sur un rocher et en raconte la légende qui court depuis des siècles -, les films de Pier Paolo Pasolini en témoignent, de même que son poème "Je suis une force du passé".


 

Si l’on est réfractaire à l’aspect mystique qui conduit cette quête et aux excès de larmes de Béatrice Dalle, force est de reconnaître l’originalité et la sincérité du film. Alors La passion selon Béatrice est-il le portrait de Béatrice Dalle ou celui de Pier Paolo Pasolini  ? Ou la tentative de faire correspondre deux êtres passionnés ? Béatrice Dalle dit : "Plus je vieillis et plus j’ai faim. Je n’ai pas envie de me calmer, de rien, jamais". Pier Paolo Pasolini est toujours là, incandescent, il n’y a donc pas lieu d’en faire un portrait compassé. Ce film est alors un double hommage, à l’actrice et au réalisateur, et suit la forme d’une passion. Pour le cinéma.

Francis Guermann
Jeune Cinéma en ligne directe

1. "Io sono una forza del Passato", in Pier Paolo Pasolini, Poesia in forma di rosa, Milan, Garzanti, 1964.


La passion selon Béatrice. Réal : Fabrice du Welz ; sc : F. de W. & Clément Roussier ; ph : Marco Graziaplena ; mont : Géraud Vandendriessche ; mu : Pascal Mayer ; cost : Edgar Fichet. Avec Béatrice Dalle, Clément Roussier, Abel Ferrara, Rossana Di Rocco, Angelo Battel, Sergio Leoni, Dacia Maraini, Carmelo Di Tinco (France-Belgique, 2024, 80 mn). Documentaire.



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