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Grand tour (2024)
de Miguel Gomes
publié le mercredi 27 novembre 2024

par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°431-432, octobre 2024

Sélection officielle En compétition officielle du Festival de Cannes 2024
Prix de la mise en scène

Sortie le mercredi 27 novembre 2024


 


En Asie, à l’orée du 20e siècle, Edward fuit sa fiancée, Molly, qui le poursuit. La première particularité du conte qu’offre Miguel Gomes tient au parti pris esthétique consistant à tourner en 16 mm, majoritairement en noir & blanc, à la fois au temps présent, de façon documentaire dans les divers endroits parcourus par ses héros, et au passé, avec des séquences qui, elles, reproduisent des décors début de siècle. Le tout uni par deux voix off narrant des actions hors champ. Soit une combinaison qui génère un pont entre passé et présent, chacune des images documentaires étant emplies d’individus dont les attitudes font écho à celles décrites ou remises en scène.


 


 

Miguel Gomes montre ainsi la continuité de ce passé révolu, en interroge l’héritage, tout en reproduisant l’ambiance hallucinatoire dans laquelle sont happés des personnages qui ne comprennent pas le monde qu’ils parcourent. Un aspect qui, outre une mise en abyme véhiculée par la représentation, à intervalles réguliers, d’un spectacle de marionnettes chinoises, est accentué par la nature enveloppante et constante des ambiances sonores et musicales.


 


 


 

Le mélange d’images documentaires avec celles de pure fiction est équilibré par la structure du récit : scindée en deux parties, la première représente la fuite de l’homme et la seconde la poursuite de la femme. Soit une segmentation qui met intelligemment en scène un des propos sociaux du film, dans la mesure où les différences entre les parcours d’Edward et de Molly soulignent l’inégalité qui règne entre les deux sexes. Le parcours de l’homme consiste en une errance mélancolique associée à une liberté de mouvement, tandis que celui de la femme est construit autour d’embûches provenant pour partie des préjugés liés à son sexe et qui l’empêchent de se maintenir dans une illusion romanesque de la vie.


 


 


 

Les rencontres et situations dès deux personnages amènent aussi à une réflexion sur la colonisation, le capitalisme, l’histoire, la mémoire ou le rapport entre tradition et modernité. Mais Grand Tour n’est pas qu’une démonstration esthétique ou une satire politique et il ne surplombe jamais ces personnages, incarnés par des acteurs qui parviennent souvent, tantôt avec un jeu simple et intimiste, tantôt avec une incarnation à la limite de la caricature, à émouvoir et susciter l’empathie. Un aspect accentué narrativement par le fait qu’à mesure que les épreuves s’accumulent, Edward et Molly se débarrassent des conventions sociales pour exprimer des émotions pures et nues, accentuant leur vulnérabilité et leur humanité. La réalité d’entre-deux que décrit Miguel Gomes en mêlant documentaire et imaginaire romanesque réussit l’exploit de faire simultanément penser à Huit et demi de Federico Fellini (1963) et News from Home de Chantal Akerman (1977), tout en évoquant aussi bien La Condition humaine que Au cœur des ténèbres (1). Ainsi Grand Tour est-il un chef-d’œuvre, aussi beau qu’il est hypnotique.

Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°431-432, octobre 2024

1. La Condition humaine de André Malraux (1933) ; Au cœur des ténèbres (Heart of Darkness) de Joseph Conrad (1899).


Grand Tour. Réal : Miguel Gomes ; sc : M.G.,Telmo Churro, Maureen Fazendeiro & Babu Targino ; ph : Gui liang, Sayombu Mukdeeprom & Rui Poças ; mont : Telmo Churrro. Int : Gonçalo Waddington, Crista Alfaiate, Claudio da Silva, Teresa Madruga (Portugal-France-Italie, 2024, 128 mn).



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