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Limonov, la Ballade (2023)
de Kirill Serebrennikov
publié le mercredi 4 décembre 2024

par Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°430, été 2024

Sélection officielle En compétition du Festival de Cannes 2023

Sortie le mercredi 4 décembre 2024


 


On a coutume de résumer l’existence tumultueuse de Édouard Limonov en une figure de Protée, adoptant une succession de convictions, attitudes, prises de position ou provocations, à moins qu’il ne s’agisse "d’étiquettes".


 


 

C’est ainsi que Emmanuel Carrère, auteur du livre Limonov (2011), dont le film de Kirill Serebrennikov est adapté, pouvait résumer en quelques étapes le parcours à présent achevé de Edouard Veniaminovitch Savenko, dit Edouard Limonov : "Il a été voyou en Ukraine, idole de l’underground soviétique sous Brejnev, clochard, puis valet de chambre d’un milliardaire à Manhattan, écrivain branché à Paris, soldat perdu dans les guerres des Balkans… ".


 


 

Le sentiment d’incomplétude que procure la vision de Limonov, The Ballad tient moins à la profusion des épisodes qui ont constitué la vie du personnage (interprété par Ben Whishaw), car le film n’est à l’évidence pas un biopic, qu’à l’incapacité du film à cerner ce qu’on appelle communément une "identité" - là est l’énigme de Limonov.


 


 

De ceci, le cinéaste, russe et cosmopolite, a sans doute conscience, qui lui fait dire : "On ne peut pas faire le tour d’un homme. Toujours quelque chose manquera". Laissant plus ou moins hors champ les divers engagements et prises de position politiques de l’écrivain, Kirill Serebrennikov laisse le spectateur se perdre en conjectures sur l’intérêt réel des scènes intimes - s’agit-il de trouver la gloire jusque dans les poubelles new-yorkaises ? -, à moins de considérer que, comme chez Jean Genet, le sexe est aussi politique.


 


 

Si bien que l’Histoire, et en particulier les années 80, sont ici essentiellement un décor, un musée à ciel ouvert, que visite Ben Whishaw, soucieux d’être libre tout en appartenant au processus historique. Un plan du film pourrait à lui seul résumer cette attitude, celui où Edouard Limonov, debout devant un miroir, semble poser pour la postérité, tout en jetant un regard de biais, comme s’il n’y croyait pas tout à fait.


 


 

Reste que le film laisse ouverte une question majeure : les palinodies du créateur du terme "rouge-brun", fondateur du parti national-bolchévique, se sont-elles confondues avec les convulsions de l’Histoire ?

Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°430, été 2024


Limonov, la Ballade (Limonov : The Ballad of Eddie). Réal, sc : Kirill Serebrennikov d’après le roman d’Emmanuel Carrère ; K.S., Pawel Pawlikowski & Ben Hopkins. Int : Ben Whishaw, Viktoria Miroshnichenko, Tomas Arana, Corrado Invernizzi, Evgueni Mironov, Andrey Burkovsky, Maria Mashkova, Odin Lund Biron, Vlad Tsenev, Sandrine Bonnaire, Céline Sallette, Louis-Do de Lencquesaing (Italie-France-Espagne, 2023, 138 mn).



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