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Gosses de Tokyo (1932) I
de Yasujiro Ozu
publié le jeudi 19 décembre 2024

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°131, décembre 1980

Sélection officielle du Festival de Locarno 1979

Sorties les mercredis 6 avril 2005 et 8 janvier 2025


 


Voici que Paris va découvrir ce Je suis né mais... (1) de Yasujiro Ozu, si différent des drames familiaux dont Voyage à Tokyo (1953) a pu nous sembler le modèle. Réalisé en 1932, un des sommets de son époque muette, le film met en scène la vie d’un employé prêt à tout pour plaire à son patron, et celle de ses deux garçons. Yasujiro Ozu, cité par Donald Richie (2), explique que le film, commencé comme une comédie consacrée aux enfants a viré au noir pendant le tournage. Ni comédie ni mélodrame, le film est un burlesque noir, bourré de gags et de mimiques drôlatiques qui raconte comment, à dix et huit ans, deux garçons découvrent que leur père est "un zéro", que leur bonne volonté à l’école ne les empêchera pas de devenir des zéros comme leur père et qu’il est inscrit dans les règles sociales que les enfants d’employés deviennent plus tard soumis au fils du patron.


 


 


 


 

Le film est construit sur un parallèle entre la vie au bureau et la vie à l’école et au terrain vague où s’affrontent les enfants. Les employés baillent, les enfants dorment. Les employés font des courbettes au patron, les deux enfants livrent combat contre Taro le fils du patron. En jouant tour à tour du repli stratégique sous l’aile du père, de l’invention d’armes sournoises, d’une alliance avec un "grand", vendeur de saké (acheté par une commande de la mère), ils imposent leur loi. Tel le chat qui a conquis son territoire, ils n’ont plus à prouver leur force, tout se règle par convention : un geste pour coucher l’adversaire à terre, un signe de croix pour signifier la mort, une absolution pour le ressusciter.


 


 


 


 

Les interventions du père, choqué de voir ses fils faire la loi à Taro, inquiètent un peu les deux compères. Mais quand les enfants s’aventurent sur le terrain de Taro, la maison du patron, qui a organisé une projection de cinéma amateur, la situation se renverse. Ils voient sur l’écran le père faire le pitre et, dans la salle, les employés rigoler. La scène d’explication entre les gosses et le père est un chef-d’œuvre de comique cruel. Férocité du dialogue : Pourquoi tu fais de la lèche au patron ? Parce qu’il me paye. Pourquoi ne le payes-tu pas, lui ? Parce qu’il est le directeur. Pourquoi ne l’es-tu pas toi ? Parce que je suis pauvre, je dois payer votre école et votre nourriture. Et les enfants de tirer la conséquence : si nous devons plus tard obéir à Taro qui est moins fort et moins calé que nous, nous ne voulons plus aller à l’école et nous ne mangerons plus. Le dialogue finit en raclée.


 


 


 

Cette leçon est rendue irrésistiblement comique par la mimique de l’aîné qu’imite après un temps de réflexion le plus jeune. Leurs gestes de révolte sont saugrenus et toujours symboliques. Quand le petit avec des gros yeux vengeurs va dérober un gros couteau, c’est pour trouer le matelas et se nourrir des grains, histoire de se préparer à la grève de la faim du lendemain. Le lendemain trois boulettes de riz ont raison de la grève des enfants et, premier pas dans l’apprentissage de la soumission, ils sourient au patron.
On ne retrouve plus, dans les films ultérieurs de Yasujiro Ozu, ces enfants durcis, criant leur mépris, ces pères minables, ce rapport impitoyable senti comme une injustice de société. Les adultes assument leur malheur, les pères redeviennent exemplaires, les enfants inconscients. Le Zéro de conduite de Jean Vigo (1932) est de la même époque. Mais les enfants japonais, s’ils savent cogner sur leur père, restent prisonniers dans la cour de l’école.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°131, décembre 1980

* Cf. aussi "Gosses de Tokyo II", Jeune Cinéma en ligne directe, 2025.

1. Le film sortira sous le titre Gosses de Tokyo.

2. Donald Richie (1924-2013), écrivain américain, critique de cinéma spécialiste du cinéma japonais.

* Cf. "Découvrir Ozu. Premier panorama," Jeune Cinéma n°123, décembre 1979-janvier 1980.

** Le film est en entier sur Internet.


Gosses de Tokyo (Otona no miru ehon : Umarete wa mita keredo) aka I was born but.... Réal : Yasujiro Ozu ; sc : Akira Fushimi ; ph et mont : Hideo Shigehara. Int : Tatsuo Saito, Mitsuko Yoshikawa, Tomio Aoki (Japon, 1932, 91 mn).



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