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Mity, Isabelle (livre)
Les Actrices du IIIe Reich (2021)
publié le samedi 5 avril 2025

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°417-418, octobre 2022

Isabelle Mity, Les Actrices du IIIe Reich, Perrin, 2021.


 


L’ouvrage de Isabelle Mity, sous-titré "Splendeurs et misères des icônes du Hollywood nazi", répond à toutes les exigences de la thèse universitaire, bibliographie exhaustive, double index de personnes et de titres de films, album de photos et trombinoscope inclus. L’auteure nous présente des portraits d’actrices fameuses et d’autres, de vedettes de la radio, du disque et de l’écran bien moins connues en France, oubliées, y compris en Allemagne. Le cinéma nazi, démontre-t-elle, n’était pas monolithique, comme on le pense communément, bien au contraire, les prototypes offerts au public n’étant ni représentatifs, ni destinés à être imités.

Ce livre comble un vide dans la mesure où l’on associe plus volontiers le 7e Art nazi à un cinéma guerrier (1), raciste (2), ou aux documentaires de Leni Riefenstahl sur le congrès de Nuremberg (3), et sur les J.O. de Berlin (4). Isabelle Mity observe que les œuvres qui remplissaient les salles étaient essentiellement des films d’amour, des mélodrames, des comédies romantiques, et/ou musicales, mettant en valeur des personnages féminins. Ce qui s’explique en partie par le fait que le cinéma nazi ait reconduit les schémas ayant fait leurs preuves durant la République de Weimar.
Avant le contrôle par le régime hitlérien de la production de Babelsberg, certaines stars, lancées par l’Ufa, avaient déjà été récupérées par les studios californiens - on pense à Pola Negri (1897-1987), à Greta Garbo (1905-1990), à Hedy Lamarr (1914-2000.

Apparaît à la lecture de cet essai une première contradiction : alors que la politique nationale-socialiste prêchait le retour de la femme au foyer et exaltait la famille nombreuse, les figures de mères étaient rares dans le cinéma allemand. Autre paradoxe : la production encouragée par les Nazis ne valorisait pas uniquement des comédiennes d’origine germanique, mais un certain nombre d’étrangères, à commencer par la Suédoise Zarah Leander (1907-1981), destinée à remplacer à la fois Greta Garbo et Marlene Dietrich (1901-1992), après la défection de cette dernière. Il y eut aussi Kristina Söderbaum (1912-2001), également suédoise, la future Mme Veit Harlan qu’on surnomma "la noyée du Reich", en raison de ses suicides à répétition pour les besoins des films.
Avant-guerre, la jeune Ingrid Bergman (1915-1982) jouera dans une des productions de l’Ufa, Vier Gesellen de Carl Froelich (1938). La jolie Tchèque Lida Baarova (1914-2000) eut une liaison avec Joseph Goebbels (1897-1945), ce qui l’aida à percer. Sans parler de la Russe Olga Tschechowa (1897-1980), la nièce de l’auteur de Oncle Vania, (5), et de la Hongroise Marika Rökk (1913-2004), une artiste issue du music-hall. En 1936, Hitler fit venir dans les studios allemands la vedette d’origine argentine, Imperio Argentina (1910-2003), l’épouse du cinéaste espagnol Florian Rey (1894-1962), qui y tourna Nuits d’Andalousie (Andalusische nächte) de Herbert Maisch (1938).

De même que les genres cinématographiques sont des plus variés, on constate qu’il n’y a pas de type de beauté standard ou de tempérament typique parmi les actrices engagées, recrutées, promues. Une femme mystérieuse comme Sibylle Schmitz (1909-1955) - la future Veronika Voss de Rainer Werner Fassbinder (6) - le partage avec une danseuse de valse telle que l’Anglo-Allemande Lilian Harvey (1906-1968). La mondaine, la distinguée, l’émancipée, la pétulante, la fausse ingénue, la femme de tête ou la tout simplement sexy se succèdent et rivalisent de charme et de photogénie. N’est pas mentionnée dans l’ouvrage Angela Sallocker (1913-2006), qui a incarné Jeanne d’Arc dans le film de Gustav Ucicky, Das Mädchen Johanna (1935) (7). La photogénie seule n’eût pas suffi à créer la légende de ces actrices.

L’auteure souligne, à juste titre, l’importance de leur voix. Ces femmes étaient pour la plupart d’entre elles des chanteuses, de préférence à la voix grave, comme Zarah Leander, Sibylle Schmitz ou, en tout cas, dotées "d’un envoûtant timbre chaud et érotique", comme Brigitte Horney (1911-1988) - la fille de la psychanalyste Karen Horney (1885-1952). Ilse Werner (1921-2005), non encore citée, savait en outre remarquablement siffler. Le cinéma allemand, comme le nôtre et l’américain, avait partie liée avec l’industrie du disque.

Les trois personnages principaux du régime national-socialiste étaient de véritables cinglés de cinéma. Hitler, qui aimait par-dessus tout le film hollywoodien, d’après Isabelle Mity, a vu, trois fois Autant en emporte le vent (1939). Il avait d’ailleurs équipé en matériel de projection professionnel la chancellerie et sa résidence secondaire du Berghof. Le dictateur se rendait sur certains tournages et trouvait normal que comédiens et comédiennes participent au lustre du régime. Hermann Göring (1893-1946) était marié avec une actrice, Emmy Sonnemann (1893-1973). Joseph Goebbels était cinéphile - son film préféré était Le Cuirassé Potemkine - et appréciait lui aussi les actrices, au point de les harceler lorsqu’elles se montraient récalcitrantes, on l’appelait "le bouc de Babelsberg". Il lui arrivait de bloquer des carrières parce des comédiennes lui résistaient ou qu’elles gardaient contact avec des Juifs en exil. Renate Müller (1906-1937), l’adorable héroïne de Viktor und Viktoria de Reinhold Schünzel (1933), qui ne lui avait pas cédé, mourut tragiquement en tombant de son balcon à l’âge de 31 ans et l’on pense que ce décès n’avait rien d’accidentel.

Les actrices du cinéma nazi n’étaient pas nécessairement nazies elles-mêmes. Elles sont restées en Allemagne parce qu’elles n’avaient pas de fortes convictions politiques à l’instar d’une Marlene Dietrich. Elles étaient certainement intéressées par les salaires, très élevés pour l’époque, offerts par l’Ufa. Plusieurs d’entre elles ont louvoyé avec le régime. Peu d’entre elles ont participé à des films de propagande explicite. Mais le divertissement n’était-il pas pour Joseph Goebbels la meilleure des propagandes ?

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°417-418, octobre 2022


1. Cf. Kolberg, le film de propagande de Veit Harlan (1943).

2. Cf. Le juif Suss (Jud Süß) de Veit Harlan (1940).

3. Le Triomphe de la volonté (Triumph des Willens) de Leni Riefenstahl (1935).

4. Les Dieux du stade. Le Festival des Nations (Olympia 1. Teil - Fest der Völker) et Les Dieux du stade. Le Festival de la Beauté (Olympia 2. Teil - Fest der Schönheit) de Leni Riefenstahl (1938).

5. Oncle Vania de Anton Tchekhov date de 1897.

6. Le Secret de Veronika Voss (Die Sehnsucht der Veronika Voss) de Rainer Werner Fassbinder, Ours d’or de la Berlinale 1982.

7. "Une fille nommée Jeanne d’Arc", Jeune Cinéma n°406-407, printemps 2021.


Isabelle Mity, Les Actrices du IIIe Reich. Splendeur et misères du Hollywood nazi, Paris, Éditions Perrin, hors collection, 2021, 368 p.



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