par Francis Guermann
Jeune Cinéma n°437-438, été 2025
Sélection officielle Hors compétition du Festival de Cannes 2025
Sortie le jeudi 22 mai 2025
Crédible tout en étant invraisemblable : tels sont, de manière paradoxale, les deux adjectifs qui peuvent qualifier le drôle de film de Cédric Klapisch, présenté hors compétition au Festival de Cannes. Ceci n’est pas une critique, ni même un compliment, simplement le constat qu’un film réussi peut embarquer son spectateur aussi sûrement qu’il réunit un nombre considérable d’étrangetés, de lieux communs et de coïncidences cousues de fil blanc. La Venue de l’avenir est un film plein de fantaisie et de légèreté, de même qu’il est consensuel au possible, rassemblant pléthore d’actrices et d’acteurs convaincants, tissant une permanence à travers plusieurs générations de femmes et d’hommes, embrassant ce que notre culture nationale moderne compte de références incontestables (de la Belle Époque jusqu’à nos beaux musées actuels, l’impressionnisme, la naissance de la photographie puis du cinéma).
Alors quoi ? Comment ces qualités pourraient être des défauts ? Lâcher prise, s’abandonner aux amours enfantines et aux émotions : le film présente l’histoire improbable d’une trentaine de descendants actuels d’une même ancêtre, qui ne se connaissent pas et qui héritent ensemble d’un petit domaine normand tombant en ruines et dont ils ignoraient tout.
La maison est fermée depuis 1944 (date qui laisse à penser que l’Histoire, avec sa grande hache, y est pour quelque chose). La municipalité locale fait réunir ces personnes afin de liquider l’héritage et mettre en route un projet immobilier. Une délégation de quatre héritiers visite la maison et découvre les traces nombreuses et préservées de ses derniers habitants, ce qui va les mener à l’histoire d’Adèle (Suzanne Lindon), humble normande élevée par sa grand-mère, à la recherche de sa mère Odette (Sara Giraudeau) dans le Paris de la fin du 19ème siècle, hébergée par deux jeunes bohèmes (un peintre - Paul Kircher - et un photographe - Vassili Schneider), confrontée à l’effervescence de la ville, aux caboulots de Montmartre, aux bordels pour bourgeois, aux peintres et photographes célèbres de l’époque.
Rencontres avec Claude Monet, Nadar et Victor Hugo, révélations sur une généalogie surprenante, apparition d’un tableau inconnu de Claude Monet. Tarabiscoté, le scénario ? Assurément, mais pour notre délice. La choralité du film, son optimisme et son humanisme, le soin apporté aux décors et aux costumes d’époque comme à la justesse historique, l’écriture originale d’un scénariste-écrivain, Santiago Amigorena, habitué des films de Cédric Klapisch, l’habileté du montage, le savoir-faire d’un réalisateur plus que confirmé (et connaissant un succès populaire depuis Le Péril jeune (1994), Un air de famille (1996) ou L’Auberge espagnole (2002), font le reste.
Le film précédent de Cédric Klapisch, En corps (2022), nous a rappelé qu’il est souvent sorti des sentiers battus, avec des films comme l’étrange Peut-être (1999) (1) ou le mélancolique Paris (2008) (2). C’est d’ailleurs de Peut-être (1) que La Venue de l’avenir peut être rapproché : ce film de la fin du second millénaire mettait en scène des fêtards de l’an 2000 transportés mystérieusement dans le Paris de 2070 ensablé jusqu’aux 3èmes étages des immeubles haussmanniens. C’est là que Romain Duris, trentenaire en 1999, rencontrait son fils septuagénaire Jean-Paul Belmondo qui l’adjurait de le mettre au monde lorsqu’il retournerait dans son époque.
Dans La Venue de l’avenir, les descendants ne peuvent réaliser ce saut temporel, ici inversé vers le passé, sinon en ingérant ensemble une substance sensée favoriser une rencontre chamanique et à laquelle seuls deux d’entre eux accéderont : Seb, photographe de mode (Abraham Wapler) qui va découvrir qui est son illustre ancêtre et Céline, une ingénieure en dépression (Julia Piaton) qui va se faire draguer par Victor Hugo (François Berléand). Ce va-et-vient entre passé, présent et avenir, au-delà de son aspect fantaisiste dans le film, est au cœur du cinéma de Cédric Klapisch, comme une interrogation constante sur le sens de la vie, sur la nécessité de connaître son passé pour croire en son avenir. Il revêt aussi des couleurs plus sombres : la perte de repères, l’indifférence ou la solitude actuelles, face à une époque révolue (sans doute idéalisée) où les exercices d’admiration semblaient être le commun de la vie sociale.
La première séquence du film est tournée aujourd’hui, au Musée de l’Orangerie, devant Les Nymphéas de Claude Monet. Les visiteurs font des selfies devant les œuvres, tandis que Seb le photographe est en séance de shooting avec un mannequin présentant des robes. La responsable de la collection de mode trouve que les couleurs des robes ne sont pas assorties avec celles des Nymphéas. Alors que Seb veut la rassurer en lui disant qu’il peut les retoucher numériquement, celle-ci lui réplique que ce sont les Nymphéas qu’il faut retoucher. Entrée en matière on ne peut plus parlante...
Francis Guermann
Jeune Cinéma n°437-438, été 2025
1. "Peut-être", Jeune Cinéma n°258, novembre 1999.
2. "Paris", Jeune Cinéma n°315-316, printemps 2008.
La Venue de l’avenir. Réal, sc : Cédric Klapisch ; sc : Santiago Amigorena ; ph : Alexis Kavyrchine ; mont : Anne-Sophie Bion ; déc : Marie Cheminal ; cost : Pascale Paume ; mus : Rob. Int : Suzanne Lindon, Abraham Wrapler, Vincent Macaigne, Julia Piaton, Zinedine Soualem, Paul Kircher, Vassili Schneider, Sara Giraudeau, Cécile de France, Pomme, François Berléand, Philippine Leroy-Beaulieu, Fred Testot, Olivier Gourmet (France, 2025, 126 mn).