par Jean Gouny
Jeune Cinéma n°437-438, été 2025
Sélection officielle En compétition du Festival de Cannes 2025
Sortie le mercredi 28 mai 2025
Il y avait beaucoup à craindre de ce nouveau film de Wes Anderson, après ses deux précédentes participations à la compétition cannoise. French Dispatch en 2021 et Asteroid City en 2023 (1) avaient en effet créé une frustration. "L’éloquence continue ennuie", disait déjà Pascal. La narration pesante arrivait même à rendre indigeste la composition de l’image, pourtant si riche, du réalisateur de La Famille Tenenbaum (). Mais voilà corrigés - ou du moins largement atténués - les obstacles à une jubilation retrouvée avec The Phoenician Scheme. Bien qu’encore très bavard, Wes Anderson déroule une narration bien plus fluide, presque une ligne claire, redonnant de la lisibilité à son propos appuyé par une mise en scène toujours ébouriffante.
Après une série de tentatives d’assassinat - le dernier en date est exposé dans une première séquence mémorable -, l’homme d’affaires le plus riche d’Europe, Zsa-Zsa Korda, va devoir préparer sa fille Liesl, religieuse de son état, à lui succéder, au grand dam de la tripotée d’autres fils du magnat. Menacé aussi bien par des entreprises rivales que par des milices au service de gouvernements divers et autres groupes terroristes, il va devoir se lancer dans un ultime et téméraire montage financier à l’aide de sa fille.
Benicio del Toro compose une espèce d’anti-héros, cynique et dérisoire, collectionneur d’art et amateur de fracas des armes, stratège machiavélique et fantasque qui va trouver intérêt à réintégrer sa fille dans sa vie. Mais bien sûr, comme toujours chez l’auteur, se dessine en filigrane un chemin initiatique et rédempteur du père.
Servi par un casting 3 étoiles, The Phoenician Scheme a su maîtriser sa narration complexe en gardant un équilibre entre forme et fond. Les détails de chaque plan, compositions de l’image, éléments symétriques, surcadrages, matières sonores, toute la richesse formelle qui se perdait récemment dans un excès de sous-intrigues, retrouve ici légitimité et équilibre, flirtant comme toujours avec le burlesque. Quand les forces étaient centrifuges dans les deux derniers films de Wes Anderson, rejetant le spectateur au dehors, celles de The Phoenician Scheme, centripètes, nous gardent avec bonheur au centre de l’œuvre.
Jean Gouny
Jeune Cinéma n°437-438, été 2025
1. "Asteroid City", Jeune Cinéma n°423, été 2023.
The Phoenician Scheme. Réal : Wes Anderson ; sc : W.A. & Roman Coppola ; ph : Bruno Delbonnel ; mont : Andrew Weisblum ; mu : Alexandre Desplat. nt : Benicio del Toro, Mia Threapleton, Tom Hanks, Mathieu Amalric, Scarlett Johansson, Benedict Cumberbatch, Rupert Friend (USA, 2025, 101 mn).