Habitué des films de genre - la satire sociale (Riens du tout, 1992) l’étude d’époque a posteriori (Le Péril jeune, 1994,) ; le film de quartier (Chacun cherche son chat, 1996) ou le huis-clos familial, (Un air de famille, 1996) - Cédric Klapisch flirte ici avec la science-fiction. Il nous transporte dans un Paris rongé par les sables, où seuls les 6èmes étages surnagent au-dessus des dunes, comme de frêles tentes plantées par des hommes sédentarisés depuis longtemps, mais contraints à un nomadisme arrêté.
C’est dans ce Paris ruiné par l’érosion que va débarquer Arthur (Romain Duris), presque par hasard, sans rien avoir demandé en tout cas. Parce qu’un loquet s’est cassé, parce qu’une porte s’est ouverte brutalement, son avenir a changé. Celui de son fils, qu’il devait concevoir cette nuit-là sans vraiment le vouloir, est parti, giclée inféconde, s’écraser sur la robe de l’intruse. Et c’est une porte justement qui s’est ouverte, entre le présent et l’avenir, entre ce père de 25 ans - qui ne l’est pas encore - et ce fils de 60 - qui risque de ne pas l’être. Chacun va lutter pour préserver son existence : l’un pour garder sa liberté, l’autre pour garantir son destin. Mais Cédric Klapisch ne fait que flirter avec la science-fiction, cela ne l’intéresse pas vraiment. Ni vrai film de genre, ni parodie appuyée, il préfère, pour Peut-être, délaisser ces considérations pour filer le thème de son cinéma, celui de la cohabitation sociale. Plus que l’avenir, ce qui le travaille, c’est le présent - tout film d’anticipation n’est-il pas une étude contemporaine ?. Ce présent, c’est celui du réveillon de l’an 2000, prêt à basculer vers ce que jusqu’ici on prenait comme référence du futur. Si cette soirée, qui sert de fond à l’histoire, joue sur le thème du futur, c’est un futur bien policé et entendu. Ainsi ce n’est pas un hasard si les déguisements de l’hôte et d’Arthur sont identiques, estampillés d’une pastille "vu à la tél". Ce futur qu’ils arborent n’est pas celui de l’imagination, mais de la consommation de masse, alimenté par les stéréotypes mercantiles qui servent de repoussoir à Peut-être. Mais voilà, la vérité n’est pas aussi étincelante, et l’avenir qu’on entrevoit n’est pas celui de l’abondance promise, mais de la régression. Comme si, pour profiter du présent, il fallait penser que tout peut toujours être pire.
La force et la faiblesse, du film de Cédric Klapisch est de rester elliptique sur ce Paris enseveli, dont rien ne sera dévoilé. Il évite ainsi les clichés attendus, les explications fumistes, tout cela l’indiffère totalement. Un peu trop sans doute, car on en vient à chercher l’intérêt d’avoir créé un tel univers si ce n’est pas pour lui faire porter quelques réflexions sur notre propre vision du monde. De plus, tel Arthur qui ne se sent pas investi par la future famille qu’il condamne, s’il ne se résout pas au devoir conjugal, le cinéaste ne se décide pas à donner vie à ses personnages secondaires, et tue dans l’œuf tout ce monde qu’il ne veut surtout pas regarder de trop près.
Si on se laisse porter parfois, c’est surtout grâce à l’interprétation de Romain Duris - qui nous avait déjà séduits dans Gadjo Dilo (1997) -, indiscutablement remarquable. Quant à Jean-Paul Belmondo, il n’est pas là pour affirmer quoi que ce soit, mais pour permettre à Cédric Klapisch de jouer sur le passé de l’acteur et d’évoquer le temps qui passe - une affiche de Pierrot le fou (1965) orne ironiquement la chambre d’Arthur.... L’humour du film réside d’ailleurs dans le décalage. Tel le conflit de générations inversé, le fils de 60 ans venant parler de responsabilité au père de 25 ans qui pense avant tout à profiter de sa jeunesse sans se créer d’obligations familiales. Les seules responsabilités qu’il entende assumer pour l’heure étant celles qu’il éprouve envers ses rêves. Et c’est bien de cela qu’il s’agit, car si le fils est en liberté conditionnelle - pourvu qu’il soit enfanté -, le père est en liberté surveillée - il se doit de procréer -, et les libertés personnelles passent au second plan. Le cinéaste ne s’attache pas aux rêves, si ce n’est pour montrer qu’ils sont illusoires. Ni moraliste, ni utopiste, ce film, qui ne se décide jamais vraiment à y aller - Cédric Klapisch nous avait habitués à mieux - manque peut-être d’un peu de tendresse.
Olivier Varlet
Jeune Cinéma n°258, novembre 1999
Peut-être. Réal : Cédric Klapisch ; sc : C.K., Santiago Amigorena, Alexis Galmot & Christian Vincent ; ph : Philippe Le Sourd ; mont : Francine Sandberg ; mu : LMD (Loïk Dury, Mathieu Dury & Jean-Michel Daviron) ; déc : Taïeb Jallouli & François Emmanuelli ; cost : Jean-Marc Mireté & Odile Hautemulle. Int : Jean-Paul Belmondo, Romain Duris, Géraldine Pailhas, Julie Depardieu, Emmanuelle Devos, Liliane Rovère, Léa Drucker, Hélène Fillières, Dominique Frot, Marceline Loridan-Ivens, Olivier Py, Lorànt Deutsch, Cédric Klapisch (France, 1999, 109 mn).