par Vincent Dupré
Jeune Cinéma n°315-316, printemps 2008
Sélection du Festival international du film de comédie de l’Alpe d’Huez 2008.
Sortie le mercredi 20 février 2008
Vitalité et mouvement sont au cœur du cinéma de Cédric Klapisch, qui ne carbure qu’au collectif : si le cinéaste ne concocte pas un film de groupe - Le Péril jeune (1994), L’Auberge espagnole (2002), Ni pour ni contre (2003) -, c’est pour tisser un film choral - Riens du tout (1992), Chacun cherche son chat (1996) et aujourd’hui Paris. Plus que jamais guidé par son goût des autres, des croisements et des interactions, il persiste dans la pratique d’un cinéma grouillant, humaniste et unanimiste.
Paris est son film le plus ample à ce jour : après une grande galerie commerciale, un quartier, c’est aujourd’hui la capitale dans son entier qu’il embrasse en une vaste mosaïque de destins croisés. Avec ces nouvelles scènes de la vie parisienne, il ajoute une pièce à sa petite comédie humaine. C’est à dessein, et parfaitement conscient de son caractère accablant, qu’on emploie un vocabulaire balzacien car on décèle chez lui une influence, résiduelle mais certaine, de la littérature du 19e siècle : Honoré de Balzac donc, pour le côté "études de mœurs", mais aussi Émile Zola - le spectre de Au bonheur des dames hantait Riens du tout - et le Charles Baudelaire du Spleen de Paris, dont Cédric Klapisch cite ici même à travers la bouche de Fabrice Luchini un extrait de la préface, comme pour reprendre à son compte les principes esthétiques que le poète y énonçait (sur l’art du fragment, du discontinu et de la combinaison).
L’ombre de films français de l’après-guerre tels que Sous le ciel de Paris (1951) ou Rendez-vous de juillet (1) plane aussi sur ce nouveau film mais sans que cela nous éloigne des questions les plus actuelles qu’il aborde (immigration clandestine, logement, dépression, action sociale…). C’est le charme du cinéma de Cédric Klapisch, sa touch si l’on veut : ce mariage contre nature mais harmonieux entre quelque chose d’un peu désuet dans l’inspiration et une grande capacité à capter l’air du temps. Si l’on quitte sa périphérie pour son centre, Paris perd beaucoup de son attrait. Première déconvenue : la ville elle-même en est absente. Nous voyons certes des personnages y évoluer, un professeur en vulgariser l’histoire, mais surtout un cinéaste qui oublie de la filmer, sinon à la manière d’un clip touristique (le début et la fin du film en sont comme des visites accélérées). Sans qu’il soit besoin d’invoquer des exemples miraculeux d’imbrication organique d’un récit et d’un lieu comme Fellini Roma, (1972) Les Demoiselles de Rochefort (1967) ou Manhattan, (1979) souvenons-nous de la manière dont Robert Guédiguian avait su filmer Marseille dans La ville est tranquille (2000) pour prendre la mesure de l’échec de Cédric Klapisch.
Le même reproche d’insignifiance peut-être transféré sur les personnages : réduits à des types sociologiques, quand ce n’est à des caricatures (voir la boulangère lourdement campée par Karin Viard, sorte de pendant féminin de l’épicier d’Amélie Poulain), ils composent un panel représentatif sans la moindre chair et la moindre chaleur, loin de recouvrer l’authenticité de ceux qui peuplaient de Chacun cherche son chat. Le plus mémorable d’entre eux, Mme Renée, fait d’ailleurs ici une apparition aussi réjouissante pour le spectateur qu’elle est désobligeante à l’égard des comédiens, renvoyés à leurs petits artifices, en particulier Fabrice Luchini - ancien acteur devenu trublion télévisuel, même au cinéma. Une volonté constante d’intensifier les émotions achève de gâter la justesse d’un film qui aurait gagné en cohérence et en transparence à troquer la sobriété de son titre pour quelque chose d’un peu plus ronflant : Les Uns et les Autres, La Vie, l’Amour, la Mort ou Les Parisiens... (2).
Vincent Dupré
Jeune Cinéma n°315-316, printemps 2008
1. Sous le ciel de Paris de Julien Duvivier (1951) ; Rendez-vous de juillet de Jacques Becker (1949).
2. Les Uns et les Autres, (1981), La Vie, l’Amour, la Mort (1968), Les Parisiens (2004) de Claude Lelouch.
Paris. Réal, sc : Cédric Klapisch ; ph : Christophe Beaucarne ; mont : Francine Sandberg ; mu : Loïk Dury, Robert Burke & Christophe Minck ; déc : Marie Cheminal ; cost : Anne Schotte, Leila Adjir & Amian Hmada. Int : Juliette Binoche, Romain Duris, Fabrice Luchini, Albert Dupontel, François Cluzet, Karin Viard, Gilles Lellouche, Zinedine Soualem, Anne Benoît (France, 2008, 140 mn).