par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection du Festival de cinéma de Douarnenez (Gouel Ar Filmou)
Sortie le mercredi 4 juin 2025
C’était un petit jardin
Qui sentait bon le Métropolitain
Qui sentait bon le bassin parisien
C’était un petit jardin
Avec une table et une chaise de jardin
Avec deux arbres, un pommier et un sapin
Au fond d’une cour à la Chaussée d’Antin
Mais un jour près du jardin
Passa un homme qui au revers de son veston
Portait une fleur de béton
Dans le jardin une voix chanta
De grâce, de grâce, monsieur le promoteur
De grâce, de grâce, ne coupez pas mes fleurs.
Jacques Dutronc chantait en 1972 ce joli poème de Jacques Lanzmann. Cinquante ans plus tard, le thème de l’écologie en ville est plus que jamais d’actualité. Et ceci malgré tous les discours sur les énergies "propres", les murs de verdure dans les beaux quartiers et la promotion de la bicyclette à tout-va. Autant d’écrans de fumée qui dissimulent la bétonisation continue des villes.
Le premier mérite du documentaire de Vincent Lapize est d’avoir tourné sa caméra vers la "Terre des vertus", parcelle de plusieurs hectares à Aubervilliers, pour relater une lutte restée relativement discrète dans les médias. Il s’agit des jardins ouvriers devant laisser place aux équipements sportifs en vue de la tenue des Jeux olympiques de 2024, événement jugé essentiel au rayonnement national. Il en montre la face sombre : la destruction d’une bonne partie des jardins ouvriers, institution existant depuis 1935, contestée par l’engagement militant d’un collectif formé par les jardiniers et jardinières en herbe travaillant depuis des années sur ces parcelles.
Une population plutôt âgée, parfois d’origine étrangère, rejointe par une jeunesse soucieuse d’écologie. La question du réchauffement climatique vient en premier lieu. "Je croyais, dit la première intervenante que nous voyons, ne connaître le réchauffement climatique qu’à soixante ans. Pour ma fille, je dois lutter". Le film nous fait pénétrer par un porche dans ce coin de campagne en ville. On y découvre des lapins de garenne, des hérissons, des écureuils, un renard qui est devenu animal familier mais refuse de se laisser regarder dans les yeux. Des oiseaux. Un plan s’attarde sur un escargot. La végétation est luxuriante, faite de lianes et de fourrés. Les tractopelles, de couleur orange, la mettent en péril. Malgré une occupation de plusieurs mois, durant lesquels les militants avaient entouré leur espace d’une muraille d’herbe et de foin, le 2 septembre 2021, la police évacue les activistes et rase les jardins ouvriers.
Jamais la caméra de Vincent Lapize ne fait intervenir les élus locaux, restés sourds aux appels du collectif. La Terre des vertus, terre de proximité et de convivialité, est au centre du film. Même si la ville est là, avec ses immeubles menaçants, on ne quitte ce domaine, appelé JAD (Jardin à défendre), qu’une seule fois, lorsque le collectif va "en ville" pour inviter les citoyens à leur rendre visite et à se joindre aux discussions ou festivités. Le film, immersif et impressionniste, est enrichi de poèmes ou de chansons. Il refuse de se placer sur le terrain des dénonciations politiques et financières.
Rappelons en passant ici que la fameuse piscine, dont il est question dans le film, n’a pu être utilisée, n’étant pas aux normes olympiques. Sans parler de l’entreprise fort coûteuse de dépollution de la Seine où les athlètes ont refusé de se produire. Ou de l’affaire des bouquinistes, très médiatisée à l’étranger en raison de sa signification symbolique.
La Terre des vertus tente à la fois de préserver un certain type de mémoire ouvrière et d’informer sur un combat actuel. Dans sa manière de filmer, Vincent Lapize privilégie le microcosme sur le macrocosme. Il montre tout ce qu’une résistance, sans violence aucune, apporte à la volonté démocratique.
Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe
La Terre des vertus. Réal, sc, ph : Vincent Lapize ; sc : V.L. & Paul Manate ; mont : Camille Fougère ; mu : Thomas Tilly (France, 2025, 92 mn). Documentaire.