par Ginette Gervais-Delmas & Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°190, septembre-octobre 1988
Sélection officielle Un certain regard du Festival de Cannes 1988
Sélection officielle de la Berlinale 1989
Oscar 1989 du meilleur film documentaire
Sortie le mercredi 28 septembre 1988
Hôtel Terminus (1) répond exactement au projet défini par son sous-titre : Barbie et son temps. Tourné pendant le procès Barbie, le film prend comme axes thématiques les deux moments décisifs du procès : le rôle de Klaus Barbie à Lyon dans l’Affaire Caluire (2) ; la responsabilité du nazi à Izieu et la déportation des enfants juifs (3).
Cet aspect-là de l’enquête menée par Marcel Ophuls et ses collaborateurs américains, met à jour les manœuvres américaines pour sauver Klaus Barbie après guerre, l’utilisation des talents policiers de Klaus Barbie par la dictature bolivienne du général Hugo Banzer Suárez, les réticences françaises rendues évidentes par le nombre des "questions non posées" concernant les coulisses politiques de la "trahison" de René Hardy, et la mise au vert d’un témoin compromettant.
Passionnant par son arrière-plan politique, Hôtel Terminus l’est aussi - et surgit alors une émotion bouleversante - par les témoignages de simples individus qui retrouvent le passé. Mémoire de victimes, de complices, d’indifférents, de témoins navrés. Marcel Ophuls nous transporte d’Allemagne en Bolivie, de la province française profonde aux milieux glacés des réseaux américains.
Captant des souvenirs enfouis et ténus, détectant mensonges, oublis, faux-fuyants, nous rendant familiers des personnes comme Simone Lagrange, petite juive battue par un Klaus Barbie tout-puissant, ou des monstres sacrés comme Jacques Vergès, René Hardy, les agents américains. Toujours présent, méchant, poussant à bout l’interlocuteur, jouant des juxtapositions qui décapent les vérités et font apparaître les contradictions.
Finalement, Klaus Barbie et son temps est aussi un Marcel Ophuls par lui-même. Cinéaste acharné, ironique, capable de rire devant l’horreur parce qu’il en fait sentir l’absurde, passionné de vérité, solidaire de tous ceux qui durent être contraints au silence. Un Marcel Ophuls bouleversé parce qu’il découvre une évolution de la mémoire collective qui revient à ceux qu’il rappelle sans relâche : les apatrides démunis et les enfants innocents et devant lesquels, revit un autre enfant privilégié, protégé, choyé : le très jeune Marcel Ophuls des années quarante.
Ginette Gervais-Delmas & Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°190, septembre-octobre 1988
* Cf aussi "Entretien avec Marcel Ophuls", Jeune Cinéma n°190, septembre-octobre 1988.
1. L’hôtel Terminus de Lyon a été le siège de la Gestapo à partir de fin 1942.
2. L’arrestation de Jean Moulin et ses compagnons à Caluire, près de Lyon, le 21 juin 1943.
3. À Izieu, 44 enfants juifs dans une colonie de vacances furent déportés à la suite d’une rafle de la Gestapo, sous le commandement de Klaus Barbie, le jeudi 6 avril 1944, puis exterminés à Auschwitz, ainsi que six des adultes qui les encadraient.
Hôtel Terminus. Klaus Barbie, sa vie et son temps. Réal, sc : Marcel Ophüls ; ph : Pierre Boffety & Reuben Aaronson ; mont : Catherine Zins & Albert Jurgenson ; mu : Maurice Jarre. Narratrice : Jeanne Moreau. Avec Marcel Ophüls, Johannes Schneider-Merck, Raymond Lévy, Marcel Cruat, Henri Varlot, Pierre Mérindol, Johann Otten, Peter Minn, Claude Bourdet, Eugene Kolb, Lise Lesèvre, Daniel Cordier, Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Simone Lagrange, Régis Debray (France-Allemagne-USA, 1988, 267 mn).