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A New Old Play (2021)
de Jiongjiong Qiu
publié le mercredi 11 juin 2025

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°437-438, été 2025

Sélection officielle En compétition du Festival de Locarno 2021
Prix spécial du jury

Sortie le mercredi 11 juin 2025


 


On sait que, dès l’origine du 7e Art, opéra et cinéma ont eu partie liée en Chine. Le premier film connu, La Montagne Dingjung (1905), est une série de séquences muettes avec le grand acteur Tan Xinpai. Les cinéastes continuèrent à exploiter ce filon. Le film de Qiu Jiongjiong, A New Old Play, s’inscrit dans cette tradition, mais de façon originale. Le cinéaste s’est inspiré de son histoire personnelle. Son grand-père, acteur et chanteur dans un théâtre de la région de Sichuan, "le mit sur les planches" et influença ses choix esthétiques. Qiu Jiongjiong est aujourd’hui à la fois peintre et auteur de cinq documentaires, qui portent surtout sur des personnages excentriques.


 


 

A New Old Play est son premier (très) long métrage de fiction. Il dure trois heures, à une minute près. La perspective documentaire n’y est pas abandonnée puisque Qiu Jiongjiong s’est appuyé sur des écrits de son grand-père, qui furent publiés en 2017 par son père, livre que le cinéaste avait d’ailleurs illustré. Le film narre autant la vie de son ancêtre que les tribulations de la troupe de théâtre dont celui-ci fit partie des années vingt aux années soixante-dix du siècle dernier.


 


 

Le prologue se déroule dans une obscurité presque totale. Qiu, le grand acteur, est arrivé dans l’au-delà. Il y est accueilli par Tête de Bœuf et Visage de Cheval, les esprits qui doivent l’accompagner au Royaume des Enfers. Auparavant, il lui faut revisiter l’histoire de sa vie et "boire la soupe de l’oubli". Le récit suit la diégèse bien que celle-ci soit souvent brouillée par l’insert de ses souvenirs personnels. Tel un héros de roman picaresque, l’enfant fut abandonné par sa mère et laissé aux soins de la troupe qui le maltraite et le prive de nourriture. La faim deviendra d’ailleurs un leitmotiv du film. Le tout jeune Qiu prend sa destinée avec courage. Il sait aussi charmer ses interlocuteurs. Un jour, il demande à être initié à l’art du chant. On rase alors sa tignasse pleine de poux et commence son éducation artistique.


 


 

La compagnie théâtrale est au centre du film. Elle ne prend aucune décision, elle est soumise à une discipline de fer, dépend des armées qui la protègent ou l’utilisent. Seul le directeur, surnommé "le vérolé" a des arrangements avec des chefs de guerre, durant les périodes de troubles les qui secouent le pays. Le cinéphile qui n’a pas révisé son histoire chinoise aura bien du mal à suivre. Il lui échappe toujours quelque chose, ce qui est un élément de fascination qu’exerce le film.


 


 

Le film est tourné dans un décor d’un théâtre, avec des décors en carton-pâte dont le caractère artificiel est souligné. Les montagnes lointaines sont peintes à la main, les vagues de la mer dans l’épisode de l’arrivée de la troupe à Taiwan sont des étoffes de soie, un peu comme l’était l’océan chez Federico Fellini au moyen de bâches dans son Casanova (1976). Les couleurs sont estompées par le souvenir, éteintes, dans une palette de grèges, beiges, marron clair, ocres sur lesquelles tranche le khaki des uniformes militaires. La continuelle fumée des cigarettes et de l’opium trouble l’image. L’action se déroule le plus souvent dans la pénombre.


 


 

La véritable critique politique, pour laquelle Qiu Jiongjiong fut censuré dans son pays, concerne la période Mao Zedong avec la grande famine (1959 à 1961), suivie de la Révolution culturelle. La première est traitée avec un mélange poignant de tragique et de cocasserie, la seconde avec une stoïque indifférence. On voit Qiu, devenu un grand acteur, affronter les quolibets et construire lui-même la porcherie où il doit résider. Avec dignité.


 


 

Le film, mis en valeur par le format large (le 16/9es) a d’indéniables qualités plastiques. Tous les acteurs sont excellents, ainsi que les figurants, souvent des enfants ou des adolescents dont la présence apporte une touche de vivacité. Les cadrages frontaux, les mouvements panoramiques changent ce qui aurait pu être un drame shakespearien en une fresque désabusée.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°437-438, été 2025


A New Old Play (Jiao má táng huì). Réal, sc : Jiongjiong Qiu ; ph : Feng ’robbin’ Yuchao ; mont : Qiu Jiongjiong ; mu : Diao Lili ; cost : Bai Yun. Int : Jianing Chen, Tao Gu, Nan Guan, Tang Hao, Qiao Hu, Weikai Huang, Yi Sicheng, Xuchun Xue, Yakui Zhan (Chine, 2021, 180 mn).



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