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Mariage de Maria Braun (le) (1979)
de Rainer Werner Fassbinder
publié le mercredi 11 juin 2025

par Ginette Gervais-Delmas
Jeune Cinéma n°125, mars 1980

Sélection officielle En compétition de la Berlinale 1979
Ours d’argent de la Meilleure Actrice pour Hanna Schygulla

Sorties le mardi 22 mai 1979 et les mercredis 6 octobre 2004, 2 mai 2018 et 11 juin 2025


 


Nous y sommes à ce mariage, dès les premières images. Mais il est très vite interrompu par un bombardement, un de ces terribles bombardements qui pleuvent sur l’Allemagne en 1943. Les signatures s’échangent à plat ventre, au milieu des décombres. Dès le lendemain Hermann, le marié, partira sur le front russe.


 


 

Des mois passent... Voici Maria sur le quai d’une gare, à l’arrivée d’un train, en femme sandwich : sur sa pancarte les coordonnées de son mari dont elle est toujours sans nouvelles, autour d’elle, d’autres femmes dans une situation analogue. Partout des ruines. Des fourmis humaines s’agitent, à la recherche de quelques miettes pour subsister. Maria se prostitue et distribue à la famille chocolat, cigarettes... Allemagne année zéro.


 


 


 

Retour impromptu d’Hermann qui trouve sa femme avec un soldat noir américain. Maria tue ce dernier sans doute pour bien convaincre Hermann qu’elle n’a jamais cessé de l’aimer. Au procès, Hermann endosse la responsabilité du meurtre.


 


 

Ce début contient déjà toutes les caractéristiques du film. Un film, pour une fois, sans ambiguïté, parfaitement clair, où Rainer Werner Fassbinder semble oublier un peu son goût agressif du toc, ou tout au moins n’en fait plus un usage gratuit. Le style est très direct, concis, nerveux, extrêmement efficace. Ces qualités s’affirment dans la partie la plus longue du récit qui se situe dans l’Allemagne du miracle. Maria a décidé qu’à sa sortie de prison, Hermann trouverait tout ce qu’un homme peut souhaiter : de l’argent, une belle maison, une femme désirable. Elle est maintenant une belle garce, au sex-appeal indéniable.


 


 


 

Elle en use sans fard, avec audace et insolence, mais sait garder en toutes circonstances la tête froide, calculatrice à en donner la chair de poule à son époux lui-même. En une séquence admirable et toute chargée d’humour, R.W. Fassbinder nous montre comment Maria, après avoir réussi péniblement à se hisser dans l’un des trains bondés de l’après-guerre en sortira glorieusement après avoir fait la conquête de l’homme d’affaires qui assurera sa fortune et celle d’Hermann.


 


 


 

Devant cette brillante démonstration, on ne peut se défendre d’un profond malaise. Ce malaise qui nous envahit témoigne sans doute de la grande réussite de l’auteur. Car cette mécanique parfaitement tendue vers un but unique et prête à tout pour le réaliser, se perd par cela même : il y a incompatibilité entre la fin qui est amour et les moyens employés qui sont parfaitement inhumains. Et qu’est-ce qu’un grand amour peut avoir à faire avec un idéal aussi platement petit-bourgeois ?


 


 

Mais surtout - et c’est l’essentiel - le personnage de Maria figure très évidemment l’Allemagne du miracle. Là-dessus R.W. Fassebinder ne laisse pas subsister la moindre ambiguïté. Comme si l’ivresse nazie des tourments de la guerre et finalement la plus écrasante des défaites n’avait fonctionné que comme une machine à décerveler ou plus exactement, à déshumaniser. Ce film est l’un des plus réussi du cinéaste. Mais il est aussi l’une des charges les plus dures qui n’aient jamais été lancées contre la société de consommation à l’allemande.

Ginette Gervais-Delmas
Jeune Cinéma n°125, mars 1980


Le Mariage de Maria Braun (Die Ehe der Maria Braun). Réal : Rainer Werner Fassbinder ; sc : R.W.F., Pea Fröhlich & Peter Märthesheimer ; ph : Michael Ballhaus ; mont : R.W.F. & Juliane Lorenz ; mu : Peer Raben ; déc : Norbert Scherer ; cost : Barbara Baum. Int : Hanna Schygulla, Klaus Löwitsch, Ivan Desny, Elisabeth Trissenaar, Gottfried John Hark Bohm, George Byrd, Gisela Uhlen, Peter Berling, Volker Spengler, Lilo Pempeit, Karl-Heinz von Hassel, Rainer Werner Fassbinder (Allemagne, 1979, 120 mn).



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