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Adalen 31 (1969)
de Bo Widerberg
publié le mercredi 11 juin 2025

par Guy Hennebelle
Jeune Cinéma n°40, juin 1969

Sélection officielle En compétition du Festival de Cannes 1969
Prix spécial du Jury

Oscars 1970 du meilleur film étranger

Sorties les mercredis 6 juin 2012, 29 janvier 2014, 24 janvier 2020 et 11 juin 2025


 


Prix spécial du Jury, Adalen 31 aurait tout aussi bien mérité la palme d’or à Cannes. Ses qualités, dans un ordre différent, sont en effet aussi grandes que celles de If de Lindsay Anderson (1).
Nous sommes en 1931, dans le Nord de la Suède. Depuis plusieurs mois, les ouvriers de la ville d’Adalen sont en grève. L’auteur, Bo Widerberg, nous décrit longuement l’état d’esprit qui règne des deux côtés de la barrière à travers les attitudes respectives de deux familles sur lesquelles, pour nous les rendre plus proches, il braque en quelque sorte un télé-objectif. Ce va-et-vient entre le "plan d’ensemble" et le "plan rapproché" débouche sur un mariage harmonieux entre le style épique et le style intimiste. Car le film est à la fois une chronique historique et une chronique familiale : le récit des événements est authentique mais l’évocation des réactions individuelles est naturellement fictive.


 


 

On sent durant la projection le souci constant de Bo Widerberg d’échapper à l’emphase inéluctablement simplificatrice des films révolutionnaires traditionnels. À tel point qu’on peut douter pendant quelques minutes, ici ou là, de sa position idéologique. Il n’est pas impossible du tout que cette sensation ait été délibérément recherchée par l’auteur. Pour cerner de plus près la réalité précisément. Quand on est pris dans une telle tourmente, le défolement de contradictions longtemps contenues, le poids d’une exploitation subie jusqu’à l’exaspération peuvent engendrer des réactions mal ajustées.


 


 

Ainsi Bo Widerberg insiste-t-il, par exemple, avec un certain luxe de détails, sur la volonté des grévistes d’empêcher leur docteur - qui s’est pourtant rangé de leur côté - de soigner un "jaune" qu’ils avaient passablement amoché. Ce détail paraît particulièrement significatif du refus de l’auteur de céder à la schématisation grandiloquente. Cette attitude est d’ailleurs illustrée au cours du film par une série de scènes que les tenants du réalisme socialiste auraient sans doute, en leur temps, qualifiées de diversions.


 


 

Au moment de la formation de la manifestation qui, drapeaux rouges en tête, entend se diriger vers la préfecture de la ville voisine, un jeune ouvrier (qui, peu après, tombera sous les balles des soldats) est justement en train de faire l’amour avec la fille du contremaître. Autre anecdote : l’un des militaires - qui visiblement ne croit guère à un affrontement - orne son fusil d’une fleur de lilas. C’est cette détermination à restituer, dans toute leur complexité, leur variété, et, conséquemment, leur vérité les différents aspects d’une situation révolutionnaire qui fonde, en bonne partie, l’intérêt et l’originalité de ce film. Il est facile, en effet, d’accrocher le spectateur, de l’annexer, en lui dessinant une reconstitution aux couleurs tranchées. Au lieu de ramener tous les comportements à un état primaire de manichéisme, Bo Widerberg préfère montrer que la dialectique de la lutte des classes s’incarne dans un magma de contradictions qu’elle transcende.


 


 

Parmi les plans les plus beaux de ce film, on privilégie quand même ceux de la marche des deux cents grévistes aux accents de "’Internationale", ainsi que le heurt avec "les forces de l’ordre" qui se solde par cinq tués. Un moment désemparée, la manifestation se reforme et continue. La description de ce bref instant de désarroi est admirable de vérité. La peinture, effectuée sans factice alternance, des modes de vie et de pensée de chaque classe en présence, est également très fine. Le commentaire explique à la fin que cette insurrection ouvrière déboucha sur l’arrivée au pouvoir des sociaux-démocrates en Suède qui, comme on sait, l’ont conservé pendant plusieurs décennies. Un censeur au petit pied a cru devoir caviarder, sur la copie montrée à Cannes, quelques lignes de sous-titres qui appelaient les Suédois à reprendre et porter plus loin le combat. Des fois que ça aurait donné des idées aux Français peut-être...

Guy Hennebelle
Jeune Cinéma n°40, juin 1969

1. "If...", Jeune Cinéma n°39, mai 1969.


Adalen 31 (Ådalen ’31). Réal, sc , mont : Bo Widerberg ; ph : Jörgen Persson, Rolf Lundström ; cost : Anne Von Sydow. Int : Peter Schildt, Kerstin Tidelius, Roland Hedlund, Stefan Feierbach, Martin Widerberg, Marie De Geer, Anita Björk, Martin Fahlén (Suède, 1969, 114 mn).



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