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Chemin du serpent (le) (1986)
de Bo Widerberg
publié le mercredi 11 juin 2025

par Gérard Camy
Jeune Cinéma n°182, mai-juin 1987

Sélection officielle Un certain regard du Festival de Cannes 1987

Sorties les mercredis 9 novembre 1988 et 11 juin 2025


 


Pour sa septième participation au Festival de Cannes (où il a déjà obtenu un prix d’interprétation et deux prix spéciaux du jury), Bo Widerberg a adapté un roman de Torgny Lindgren. Fidèle à une tradition du cinéma suédois héritée de Mauritz Stiller et Victor Sjostrom, il a choisi une évocation du passé qui lui permet d’enraciner ses personnages dans une réalité sociale bien déterminée du siècle dernier.


 


 


 

La famille de Teah est logée dans une petite maison appartenant à Ol Karlsa, potentat local, propriétaire du magasin qui ravitaille toute la commune. Teah dont le père s’est suicidé va apprendre la dure loi qu’impose ce personnage à sa mère depuis plusieurs années. Teah ne pouvant pas payer le loyer en argent, c’est en nature que le propriétaire se rembourse. Mais Teah a l’âge pour remplacer sa mère, c’est donc elle qui, chaque année, se prêtera à la sinistre cérémonie, puis avec le fils d’OI, Karl Orsa... en attendant que sa propre fille, plus tard, soit du goût du propriétaire.


 


 

Ce chemin du serpent, c’est le trajet qui, chaque début d’année, amène Karl, tel le diable, à la porte de la maison pour recevoir son dû. Teah et les siens semblent accepter avec passivité cette malédiction. Le jour venu, les enfants s’éclipsent, laissant seuls leur mère et le maître des lieux.


 


 

Le sujet du film est dur et le traitement de Bo Widerberg est à l’unisson. li nous impose du début à la fin la répétition de ce rituel sans aucun voyeurisme, installant un malaise progressif et rendant totalement odieux ce droit de cuissage. Il met à plat de manière naturaliste les éléments du drame et sans faiblesse, nous mène jusqu’au dénouement. La caméra insistante surprend des attitudes, traque des expressions des visages. En privilégiant les gros plans, en sous-exposant les images, il rend l’atmosphère plus tendue, plus insupportable et permet ainsi aux rares moments de bonheur (la construction de la maison de neige, le collier, le bal hebdomadaire), filmés avec chaleur, tendresse et sensibilité, d’éclater et d’être ressentis comme précieux.


 


 


 

Bo Widerberg ne sépare jamais la position sociale des individus de leurs exigences psychologiques ou affectives. Il nous présente ces personnages comme victimes d’un système socioéconomique créé par la classe dirigeante dont Karl Orsa fait partie. Toutefois il évite le pamphlet pour s’intéresser aux réactions individuelles, à ces rapports imprégnés d’un sentiment sournois de péché dû à la liaison cachée donc honteuse. Teah et les siens acceptent cet état de choses comme un ordre naturel et la punition de leur misère. Les quelques velléités de se soustraire à cette obligation sont vite réprimées par la logique de la faim et du froid et par Orsa poli mais implacable.


 


 

Lorsqu’à la fin, après la mort de Teah, le fils Jani voudra tuer Orsa, c’est la nature qui se révoltera, punissant tous les membres de cette société surannée dans un glissement de terrain dont il sera le seul survivant pour avoir été le seul à tenter de s’opposer à l’inéluctable.

Gérard Camy
Jeune Cinéma n°182, mai-juin 1987


Le Chemin du serpent (Ormens väg på hälleberget). Réal, mont : Bo Widerberg ; sc : B.W. & Torgny Lindgren ; ph : Jörgen Persson ; mu : Stefan Nilsson ; déc : Pelle Johansson ; cost : Inger Pehrsson. Int : Stina Ekblad, Stellan Skarsgård, Reine Brynolfsson, Pernilla Östergren, Tomas von Brömssen, Pernilla Wahlgren, Ernst Günther, Birgitta Ulfsson, Johan Widerberg, Melinda Kinnaman (Suède, 1986, 111 mn).



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