par Lou Leoty
Jeune Cinéma n°437-438, juin 2025
Sélection officielle de la Quinzaine des cinéastes au Festival de Cannes 2025
Sortie le mercredi 18 juin 2025
Sous le soleil de La Ciotat, Robin Campillo poursuit le travail de Laurent Cantet, décédé lors de la préparation de Enzo. Une ouverture de la Quinzaine qui rappelle le geste de l’année dernière, aussi film de linceul, Ma vie ma gueule de Sophie Fillières (2024) (1). Enzo s’investit néanmoins comme un récit d’apprentissage baigné de lumière, une vie qui commence lorsque celle de son cinéaste s’achève. Son éclat tient au croisement des filmographies, l’une faite de jeunesse, de luttes sociales, l’autre de désir, de sensualité. C’est fort de ce tandem que la quête d’Enzo se pose : à travers une conscience de classe et de corps.
Apprenti maçon, Enzo construit avec beaucoup de mal des murs de travers. Sa rencontre avec Vlad, ouvrier ukrainien, accélère son complexe social et amorce sa mélancolie de transfuge. La honte d’appartenir à un groupe privilégié, Enzo choisit de la vaincre par une expiation corporelle. Il ne porte pas de gants, cherche une chair de douleurs, et renoue avec les bâtisseurs. Un retour à la terre, le humus de l’humiliation donc, qui ne répond pas aux standards de ses parents. Le béton s’oppose aux vitres de la maison familiale où chaque être est à disposition, comme un lieu panoptique, dans lequel on peut surveiller, et punir. Sa liberté passe par une passion : il se jette dans la vie les bras écartés, en ayant en tête de laver les péchés de sa classe.
Cette lucidité d’ordre mystique inclut son désir. Viril, brutal, comme un Marlon Brando, c’est l’homme de douleurs et d’exil qu’est Vlad qui fascine et attire Enzo. Il reflète les modalités de l’émancipation : le martyre du travail et la fuite du foyer. À cet endroit, le film est assez vertigineux : le désir érotique pour Vlad est social. La fusion charnelle représente l’unique horizon pour que son corps d’opprobre disparaisse, jusqu’à imiter ses attitudes et endosser ses vêtements. L’union n’exclut pas la fracture sociale, l’étreinte est aussi un affrontement. L’éveil à l’antique permet d’envisager avec finesse et splendeur le mystère de l’identité. Dos aux ruines, hors les murs.
Lou Leoty
Jeune Cinéma n°437-438, juin 2025
1. "Ma vie ma gueule", Jeune Cinéma n°429, été 2024.
Enzo. Réal, sc, mont : Robin Campillo ; sc : Laurent Cantet, Gilles Marchand ; ph : Jeanne Lapoirie ; mu : Julien Tan-Ham Sicart. nt : Eloy Pohu, Pierfrancesco Favino, Élodie Bouchez, Maksym Slivinsky, Nathan Japy (France, 2024, 102 mn).