par Lou Leoty
Jeune Cinéma n°437-438, été 2025
Sélection officielle ACID au Festival de Cannes 2025
Sortie le mercredi 2 juillet 2025
Sophie Letourneur présentait à l’Acid le nouveau volet de sa trilogie, après Voyages en Italie (2023). Elle poursuit ainsi son geste au dispositif singulier et son clin d’œil aux films de la modernité italienne. C’était Roberto Rossellini, ce sera Michelangelo Antonioni (1). Le couple formé par la cinéaste et Philippe Katerine repart en vacances, cette fois-ci avec leurs enfants, Raoul et Claudine.
Si l’enregistrement faisait l’objet d’une brève séquence dans le premier film, il devient le soubassement de ce film plus nébuleux et chaotique. Titre d’une chanson française populaire autant que d’un film sur l’ennui et l’incommunicabilité, L’Aventura raconte l’impossible échappée d’un entrelacs familial, autant que le désir de saisir le temps qui passe et ne revient pas.
Le film vise juste : faire famille, c’est faire récit. Chez Michelangelo Antonioni, voulait-on retrouver cette femme ? La question se pose aussi. Souhaite-on raconter son récit familial, en être ? Sophie Letourneur insuffle le chaos par la fragmentation. Cela octroie au film sa drôlerie autant que son drame, un bordel aussi triste que joyeux. La cacophonie des voix qui s’enchevêtrent désopile, déchire : à trop entendre on n’écoute plus.
Si la vacance appelle le vide, celles de L’Aventura forment une saturation : valises trop pleines, voiture débordée, chambre étroite pour contenir la smala. La famille est un grand encombrement. L’idée est soulignée par contrepoint, lorsque le film s’autorise l’épure ou l’évidement : c’est la vexation de Claudine qui disparaît sous les draps, réponse matérielle au manque affectif, autant que le long travelling de Philippe Katerine à contre-sens.
Par sursauts, L’Aventura chavire du rire à la métaphysique aiguë d’un mythe que d’aucuns considèrent indissoluble. Du soleil à la lune, des pleurs aux flots béats d’une baignade estivale, c’est dans l’entre-deux, ce crépuscule, que chacun peut renouer avec son identité. Lorsqu’on demande à Raoul "C’est quand hier ?", il répond : "Demain". La vérité sort toujours de la bouche des enfants.
Lou Leoty
Jeune Cinéma n°437-438, été 2025
1. Voyage en Italie (Viaggio in Italia) de Roberto Rossellini (1954).
L’avventura de Michelangelo Antonioni (1960).
L’Aventura. Réal, mont : Sophie Letourneur ; sc : S.L. & Laetitia Goffi ; ph : Jonathan Ricquebourg. Int : Sophie Letourneur, Philippe Katerine (France, 2025, 100 mn).