par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°430, été 2024
Sélection officielle Séances spéciales du Festival de Cannes 2024
Sortie le mercredi 8 octobre 2025
Sergueï Loznitsa n’est pas reporter de guerre, et d’ailleurs la guerre ne se communique pas vraiment par des images ou des mots. C’est la vie sous les bombes en Ukraine qu’il nous montre, la vie atteinte de maladie mortelle, comme il le dit lui-même, la guerre est une maladie propagée par l’invasion, un virus qui s’infiltre.
Une jolie petite noce, dans une belle salle : le marié est en uniforme, prêt à rallier le front, pour y mourir peut-être, la mariée sourit et dans une belle robe blanche découvrant une jambe gracieuse, une couronne de fleurs, l’officiante offre le cadeau rituel, une étole blanche : "Regardez-vous bien dans les yeux, vous êtes le chef de famille, vous êtes la garante du foyer".
Ailleurs, un soldat filiforme fond de tendresse devant le tout petit bébé que vient de lui offrir sa grosse tendre épouse. Même les funérailles solennelles des jeunes soldats et la recherche de survivants emmurés sous les décombres sont savoir-vivre et culture.
À l’école, règne une discipline rassurante, les femmes sont calmes et solides, elles disent la vérité aux enfants, et on descend aux abris sous l’alerte. La société fonctionne sous les bombardements dans l’ordre, le calme et le rationnement, avec des tâches nouvelles : collecter et détruire tous les livres en russe, de Vladimir Maïakovski à Alexandre Pouchkine ou Joseph Staline, un méga dilacérateur est mobilisé. L’hôpital de rééducation des amputés est presque rassurant, propre, bien ordonné, sans démarcation entre les diminués mutilés et les soigneurs encore entiers. Les bains glacés restent des rendez-vous coutumiers : "L’eau est à 3.5° C, ne vous y attardez pas".
C’est bien le Sergueï Loznitsa qu’on attendait à Cannes, où il vient pour la cinquième fois, avec ce documentaire sans intervention ni commentaire, comme ses films précédents Maidan (2014), Austerlitz (2016), ou même sa fiction Donbass (2018) (1). Formé au VGIK (2), il apparait comme un des meilleurs témoins, mainteneurs d’alertes, dont le reportage ne peut être exploité pour aggraver la guerre. Difficile de se passer d’un tel document.
Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°430, été 2024
1. "Donbass", Jeune Cinéma, n°388-389, été 2018.
2. VHIK : L’Institut national de la cinématographie S.A.-Guerassimov à Moscou.
L’Invasion (The Invasion). Réal, sc : Sergueï Loznitsa ; ph : Evgeniy Adamenko, Piotr Pawlus ; mont : Danielius Kokanauskis, Sergueï Loznitsa (Pays-Bas-France-États-Unis, 2024, 145 minutes). Documentaire.