par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°437-438, été 2025
Sélection officielle En compétiton du Festival de Cannes 2025
Sortie le mercredi 8 octobre 2025
Quel projet étrange ! Le biopic d’un film ! Comme si reconstituer le plus exactement possible le tournage de À bout de souffle (1960) allait lui ajouter quelque chose et nous éclairer sur le mystère. Il ne manque pas un bouton aux costumes et accessoires, chemise rayée, cravate à carreaux, t-shirt "New York Herald Tribune", peignoir, Stetson melvillien et le reste. La volonté de coller au physique des protagonistes est touchante, de même que la reconstitution de leurs voix (on dirait une démonstration de l’IA), ainsi que le respect des comportements : tout est ici de l’ordre du sacré, de l’imagerie d’Épinal de la légende dorée. Du mythe en conserve, avec ce qu’il faut de paroles historiques et d’aphorismes réécrits pour parfaire le tableau.
Pourquoi pas, l’édification des jeunes générations ne doit pas être négligée. Mais quelle lourdeur, pas tellement dans le déroulement des faits, mais dans l’enrobage du contexte, comme cette idée éléphantesque du panoramique qui montre les participants de l’accueil fait à Roberto Rossellini dans les bureaux des Cahiers du cinéma, avec leurs noms sur l’image, histoire de montrer que personne n’a été oublié (si, Claude de Givray et Charles Bitsch). On dirait du Sacha Guitry - "Si les Cahiers du cinéma nous étaient contés"…
Passons sur les erreurs de détails, obligatoires puisque le Paris de 2024, malgré le noir et blanc, n’est pas celui de 1959, outre le rôle de Suzanne Schiffman qui n’a travaillé avec Jean-Luc Godard qu’à partir de Une femme est une femme (1961), de toute façon peu de spectateurs s’en apercevront. Le plus gênant c’est l’ennui généré par ce musée Grévin dans lequel même les silences sont iconiques. Et la question naît : quel intérêt cela peut-il présenter pour qui n’a pas vu À bout de souffle, - et quel intérêt pour qui l’a vu ?
Le film est entré debout dans l’Histoire, mais quoiqu’on affirme un peu partout, il n’a pas changé le cinéma, ni celui de François Truffaut, ni celui de Jean Delannoy, ni celui de Alain Resnais, Claude Chabrol, Jacques Rivette ou Denis La Patellière. Personne n’a fait ensuite du Jean-Luc Godard, sauf lui. Le film s’inscrit dans le besoin actuel de sacraliser le passé, voir le nombre de biographies qui nous ont été proposées et qui nous menacent. C’était tellement mieux alors, le cinéma ! Cette version empaillée évoque les fanatiques qui se retrouvent chaque année en costumes d’époque pour rejouer la bataille d’Austerlitz. La Nouvelle Vague pour les nuls…
Lucien Logette
Jeune Cinéma n°437-438, été 2025
Nouvelle Vague. Réal : Richard Linklater ; sc : Vince Palmo, Holly Gent, Michèle Halberstadt & Laetitia Masson ; ph : David Chambille ; mont : Catherine Schwartz. Int : Guillaume Marbeck, Zoey Deutch, Aubry Dullin, Bruno Dreyfürst, Benjamin Cléry, Matthieu Penchinat (France, 2025, 105 mn).