home > Unes du site Jeune Cinéma > JC 439 octobre 2025

JC 439 octobre 2025

publié le vendredi 10 octobre 2025

Couverture : Sarah Duhamel (à l’écran Rosalie puis Pétronille).

Quatrième de couverture : Robert Redford (1936-2025).

Abonnez-vous, réabonnez-vous !
La revue refuse la publicité et ne vit que grâce à ses abonnés.



 

ÉDITO JC n°439, octobre 2025

 

La période est faste pour les faiseurs d’hommages : en quelques jours, Robert Redford (1936-2025) puis Claudia Cardinale (1938-2025) ont disparu. Disparitions fort convenablement saluées par la totalité des médias (on a ainsi pu revoir sur le câble La Fille à la valise de Valerio Zurlini (1961), son premier grand titre), ce qui nous permet de ne pas y revenir dans le détail, autrement que pour nous attendrir sur la fin d’une époque.
Si la beauté de l’une, Claudia Cardinale, illumina les années soixante (et un peu la décennie suivante, mais il est difficile de trouver après 1974 et après Violence et passion de Luchino Visconti (1974), un rôle mémorable), la beauté et l’élégance morale de l’autre, Robert Redford, ont résisté au passage du temps : entre Propriété interdite (1966), son premier chef-d’œuvre avec Sydney Pollack, et son éblouissante performance dans All Is Lost de J.C. Chandor, (2013), il fut irréprochable, sur et hors de l’écran. Nous l’avons suivi dans tous ses avatars, avec un faible pour ses films sans renom, La Descente infernale de Michael Ritchie (1969) ou L’Ultime Randonnée de Sidney J. Furie (1970), dans lesquels, skieur ou motard, il était aussi impressionnant qu’en Gatsby (2013) ou en Jeremiah Johnson (1972). C’est sur une certaine image de l’Amérique que tombe sans recours le rideau, à un moment où l’actualité autour du Père Ubu n’a jamais été aussi terrifiante.

Ce début d’automne a été également bien rude pour notre corporation, puisque trois critiques et historiens de nos amis, Jean-Pierre Bouyxou (1946-2025), Jacques Zimmer (1935-2025) et Jean-Pierre Berthomé (1944-2025), ont tiré leur révérence. On trouvera plus loin nos coups de chapeau aux deux premiers. Le troisième l’aurait mérité, largement, eu égard à ses travaux impeccables sur le décor ou Orson Welles (entre autres). Mais les revues auxquelles il collaborait, Positif et 1895, lui préparent chacune un hommage. C’était un personnage jovial à l’érudition étincelante, tous ceux qui ont partagé sa table, à Bologne ou ailleurs, s’en souviennent. Étrangement, il n’a participé ni à l’exposition montée à la Cinémathèque française (8 octobre 2025-6 janvier 2026), sous l’égide de François Thomas & Estève Riambau, ni au somptueux ouvrage qui l’accompagne, sous le même intitulé, My Name Is Orson Welles (direction Frédéric Bonnaud, La Table ronde), qui rassemble des articles de nombreux spécialistes et quelques archives rares, signées Jorge Luis Borges ou Jean-Paul Sartre - recension dans notre prochain numéro. On compensera cette absence en relisant le dossier wellesien du n° 775 (septembre 2025) de Positif et la brillante analyse par Jean-Pierre Berthomé des tournages de Othello. (1951).

Il semblerait que les salles de cinéma peinent à retrouver leur clientèle ancienne, la fréquentation atteignant ses plus basses eaux. On évoquera de multiples causes, l’angoisse générale, la canicule, les agences de notation, le pouvoir d’achat, l’intérêt mesuré des produits proposés - même God Save the Tuche, exploitation n° 5 du filon aurifère, n’a pas renouvelé la divine surprise de Un p’tit truc en plus l’an dernier -, la submersion par les images domestiques ou à portée de main – si l’on considère le nombre d’heures quotidiennes passées à pianoter devant un écran par les représentants de toutes les tranches d’âge, il reste effectivement peu de temps pour une autre consommation. Faute de raisons concluantes, on se résoudra à attendre la suite des aventures difficiles de la distribution, en s’interrogeant sur cette anomalie : des titres de plus en plus nombreux offerts à de moins en moins de spectateurs.

Paradoxalement, la crise ne touche pas les festivals français, petits ou grands, toujours aussi fréquentés, comme le constate plus loin notre envoyé spécial aux provinces. On a compté, en France, d’Abbeville à Voiron, trois cent quatre-vingt-treize festivals spécialisés, par pays ou genres. Cannes, on comprend, Lyon également, l’inébranlable La Rochelle aussi. Mais Auch, Gindou, Lussas, Alès, Sarlat, Pessac, le Fifigrot de Toulouse, tous suivis fidèlement année après année ? Est-ce leur caractère exceptionnel qui captive un public sevré durant cinquante et une semaines ? Il y a là quelques raisons d’espérer que la pratique du "vrai" cinéma ne s’éteigne pas tout de suite. Ne serait-ce que pour accueillir comme ils le valent les quelques films cannois annoncés, dont le magnifique Un simple accident de Jafar Panahi (2025), Palme comme on en voudrait plus souvent, La Petite Dernière de Hafsia Herzi (2025), ou Moi qui t’aimais de Diane Kurys (2025), tentative presque réussie de ressusciter la fin du couple Signoret-Montand (1).

Et surtout, même s’il ne vient pas de Cannes mais de Venise, le Lion d’argent La Voix de Hind Rajab de Kaouther Ben Hania (2025), sans doute l’œuvre la plus impressionnante vue cette année. La réalisatrice est experte en dispositif ingénieux - rappelons-nous Les Filles d’Olfa (2023) (2), mais ici, la reconstitution sans pathos de la mort en direct de l’enfant coincée sous la mitraille à Gaza se situe à un niveau d’émotion rarement éprouvée. Cela attirera moins de spectateurs que les Tuche 5 ou les Bodin’s 4, mais nous autorise à croire que le cinéma peut encore être utile.

Est-ce parce que septembre est le mois du patrimoine, pardon, du Patrimoine, que celui-ci est tant représenté dans ce numéro ? Non. Simplement parce que l’actualité, malgré tous les titres à trois ou quatre étoiles promus chaque semaine, nous paraît pâlichonne (et suffisamment couverte par d’autres médias) et que le cinéma d’hier - Tinto Brass, Federico Fellini, Max Ophuls - ou d’avant-hier (les actrices effrontées du cinéma des années 1910) n’a pas dévoilé tous ses charmes. La preuve, le plus grand plaisir de cette fin de saison, nous le devons à la Fondation Pathé-Seydoux dans son havre parisien des Gobelins, sous forme d’un hommage à Frank Borzage (1893-1962) et à ses films muets : le couple Mary Duncan-Charles Farrell de La Femme au corbeau (The River, 1929) demeure aussi immarcescible que celui de Meryl Streep & Robert Redford de Out of Africa (1985). Le temps ne fait rien à l’affaire.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°439, octobre 2025

1. "Un simple accident", et "Moi qui t’aimais", Jeune Cinéma n°437-438, été 2025.

2. "Les Filles d’Olfa," Jeune Cinéma n°423, été 2023.



 

SOMMAIRE JC n°439, octobre 2025

 

 
Entretien
 

* TWST-Things We Said Today, par Nicole Gabriel.

* Rencontre avec Andrei Ujica, par Nicole Gabriel.

 
Festivals
 

* La Rochelle 2025, par Alain Souché.

* Angoulême 2025, par Alain Souché.

 
Du monde entier
 

* Comment ça va, l’Amérique ?, par Francis Grossmann.

 
Patrimoine
 

* Fellini-Satyricon, une esthétique du fragment, par Jean-Michel Ropars.

* Redécouverte de Tinto Brass, par Alexis Leroy.

* Entre le ciel et l’enfer d’Akira Kurosawa, par Nicole Gabriel.

* Lettre d’une inconnue de Max Ophuls, par Enrique Seknadje.

* Le Congrès de la FIAF, Montréal, par Éric Le Roy.

 
Cinéma muet
 

* Cinema’s First Nasty Women, par Nicole Gabriel.

 
Cinéma & Histoire
 

* Honeymoon, un huis clos en Ukraine, par Jean-Michel Ropars.

 
Cinéma & Surréalisme
 

* Roberto Matta, par Lucien Logette.

 
DVD
 

* Chronique de l’été 2025, par Jérôme Fabre.

* Glanures. De Borderie à Bresson, par Philippe Roger.

* La Règle du jeu de Jean Renoir, par Éric Le Roy.

* Château-Rouge de Hélène Milano, par Alexis Leroy.

* Deux comédies de Claude Zidi, par Gérard Camy.

* La Légende de l’aigle chasseur de héros de Jeffrey Lau, par Gérard Camy.

* Deux films de Bernard Borderie, par Alexis Leroy.

 
Chercheurs et Curieux
 

* Note sur Paul Gilson, par Lucien Logette.

* Au paradis des images, par Paul Gilson.

 
Actualités
 

* Dracula, par Nicole Gabriel.

* Kontinental ’25, par Hugo Dervisoglou.

* Une place pour Pierrot, par Gisèle Breteau Skira.

* Le Dernier Compromis, par Sylvie L. Strobel.

* Les Filles Désir, par Anita Lindskog.

* Journal intime du Liban, par Jean-Max Méjean.

* On Falling, par Gisèle Breteau Skira.

* The Left-Handed Girl, par Hugo Dervisoglou.

 
Livres
 

* Gérard Camy, Sam Peckinpah, A Toucch Guy, par Lucien Logette.

* Bernard Benoliel, Clint Eastwood, l’incompris paradoxal, par Alexis Leroy.

* Giuseppe Manfridi, Le Prophète et la Diva, par Alexis Leroy.

* Guillaume de Sardes & Bartolomeo Pietromarchi, Pasolini en clair-obscur, par Gisèle Breteau Skira.

* Noël Herpe, Travestissons-nous, par Alexis Leroy.

* Jean-Michel Frodon, Le Cinéma d’Edward Yang, par Francis Guermann.

* Stéphane du Mesnildot, Soleil rouge, une histoire du cinéma rebelle japonais, par Alexis Leroy.

 
Nécrologies
 

* Jean-Pierre Bouyxou, par Lucien Logette.

* Jacques Zimmer, par Daniel Sauvaget



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts