C’est un documentaire, du "cinéma direct" sur les derniers temps du mandat de Laurent Berger à la tête de la CFDT, et la forte mobilisation populaire contre une dégradation brutale non négociée des droits à la retraite en 2023. Le film débute par une séance de maquillage qui montre le syndicaliste réticent devant le rôle de vedette salvatrice qu’il devra esquiver sur le plateau, même s’il a accepté le principe d’être personnellement pisté par la caméra de Anne Fonteneau.

Laurent Berger se présente comme un homme normal, soulignant que l’intensité d’un militantisme comme le sien ne peut venir que d’un homme heureux, content de retrouver sa famille le soir… Il montre les relations de confiance avec les militants, mais se lâche aussi sans retenue avec force jurons vis-à-vis des "connards qui le font chier" et dont il a "ras le cul". On circule au siège de la Confédération, bureaux en ordre, portes ouvertes, avec des aménagements plus "conférence" que tables rondes pour les salles de réunion. Pas de concertations stratégiques de long terme avec les responsables fédéraux, mais Laurent Berger veut montrer l’exercice de "la responsabilité de l’intérieur", l’ambiance de son travail quotidien avec sa garde rapprochée, son attention aux témoignages des syndiqués. Puis on est plongé dans cette intensification des charges des derniers jours de suspense de la bataille des retraites écrasée en force par la Première ministre de l’époque, le 16 mars 2023, via un 49-3.

Le Dernier Compromis reprend des documents directs, comme ses échanges sympathiques avec Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT : "Dommage qu’il parte aussi, dit Laurent Berger, avec lui, on se comprenait d’emblée". Voilà qui désamorce des scénarios de rivalité bien dérisoires. Le film rapporte même une conversation téléphonique avec la Première ministre Élisabeth Borne, qui propose une reprise des discussions après le "passage" de la réforme des retraites. Pour qui le prend-elle ? Il en a marre de la surdité du gouvernement à cette détermination populaire contre ses abus de pouvoir et des avances qui lui sont faites pour des relations privilégiées en échange de sa souplesse et aussi de la pression amicale de ses camarades pour qu’il diffère son départ programmé.

Il n’a jamais cru que la CFDT, c’était lui, et ne prise pas ce genre de personnalisation. Il est temps pour lui de passer la main dans cette fonction et de retrouver sa famille. Une fin de carrière sur un gros échec ? Laurent Berger préfère souligner que ce coup de force du gouvernement met en évidence qu’il était minoritaire (après quelques démarches efficaces auprès des députés à convaincre), et que la nécessité de négociation avec des organisations représentatives structurées avant la définition des projets s’impose d’autant plus.

Anne Fonteneau a voulu faire un film sur l’engagement et sur le métier de syndicaliste "pour ouvrir le débat sur deux visions du monde". Laurent Berger montre plutôt que le syndicalisme n’est pas un métier qui impliquerait qualification, diplôme, carrière, CDI…, et souvent concurrence, mais que c’est un mandat électif, une mission militante à durée déterminée, un travail collectif. Et il souligne que ne sont pas des visions différentes qui sont en jeu dans les négociations, mais, plus concrètement, des intérêts divergents qui traversent la société (et qu’il s’agit de repérer pour capter au mieux les courants porteurs). Comme quoi la performance même d’un travail peut dépasser l’intention de l’auteur, notamment grâce aux mises au point des figurants ou de spectateurs.

Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°439, octobre 2025

Le Dernier Compromis. Réal, sc, ph : Anne Fonteneau ; mont : Stéphanie Goldschmidt. Int : Laurent Berger, Nicolas Demorand, Bruno Retailleau, Léa Salamé (France, 2025, 82 mn). Documentaire.