par Francis Guermann
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection officielle Un certain regard du Festival de Cannes 2025
Sortie le mercredi 15 octobre 2025
Enfant de la balle surdouée, actrice de 35 ans à la carrière déjà longue (depuis l’âge de douze ans), égérie de la mode, "people du millenium", qui s’illustre sur de nombreux terrains, Kristen Stewart confirme avec ce premier long métrage son appétence pour la réalisation. Elle adapte le récit autobiographique éponyme de Lidia Uknavitch (1). De ce récit fort d’une enfance sous emprise et abusée sexuellement, de la difficulté à se construire, des addictions à l’alcool et aux drogues, du salut venant des mots et de la littérature, Kristen Stewart en a fait un film assez fidèle dans le déroulé et dans l’esprit.
Récit cinématographique déstructuré et intranquille, filmé au plus près des corps, construit par à-coups et flashback, tournant autour de la performance de l’actrice Imogen Poots qui incarne Lidia, The Chronology of Water débute en coup de poing : variations autour du thème de l’eau (Lidia enfant est une nageuse prometteuse), images saccadées, à la limite de l’abstrait, suggestion de la violence et de l’inceste qu’elle subit de son père, fluides corporels, sueur, sang. Tout est mis en place pour l’expression de la subjectivité de Lidia, sa perte de repères et sa souffrance impossible à exprimer - sa sœur a fui le domicile familial, sa mère est dépressive et absente, elle n’a personne à qui se confier. Cette première partie du film forme un récit en soi (le film est partagé en plusieurs chapitres).
La suite convainc moins, avec une chronologie qui allonge et complexifie le récit tout en assagissant le rythme au fur et à mesure que Lidia construit sa vie privée, sexuelle et littéraire. Le film se termine sur une fin assez convenue, une retrouvaille avec son père devenu aphasique à la suite d’un accident cérébral, au domicile de Lidia, son compagnon et leur petit garçon. L’énergie initiale du film s’essouffle, les recherches visuelles et sonores se répètent et finissent par devenir des procédés perdant leur force. Il y a ainsi plusieurs films en un, trop chargé pour convaincre.
Et sur le fond, un questionnement survient : dans ce film féministe qui dénonce avec force l’emprise et l’inceste, il ne se passe finalement rien dans les faits, absolument rien contre ce père coupable et dénoncé : ni paroles de révolte de Lidia et sa sœur, ni violence ou vengeance, ni action en justice. Sans doute est-ce fidèle au livre de Lidia Uknavitch, sa subjectivité, et cela peut correspondre à l’époque évoquée, la fin du siècle dernier, où ces histoires étaient encore mises sous le tapis et la culpabilité restait du mauvais côté. Mais quand même, on regrette le geste manquant, le rétablissement d’une certaine justice après le long gâchis de l’enfance et de l’adolescence de Lidia.
Ce film trop long se clôt sur le déni et l’absence d’explication d’un père coupable, et sur la passivité d’une fille qui ne peut pardonner. L’artificialité de cette situation tient en ce que la création littéraire seule est dépositaire, dans le récit de Lidia Uknavitch, de la libération de la parole et de l’attaque contre ce père abusif. Alors que dans le film, par le fait de l’incarnation des personnages, par la concrétisation des lieux, du temps et de l’espace, le spectateur est en attente d’une résolution, fictionnelle ou symbolique. À vouloir trop la fidélité, dans l’adaptation, à l’œuvre écrite, Kristen Stewart finit par s’éloigner de son élan initial.
Francis Guermann
Jeune Cinéma en ligne directe
1. Lidia Uknavitch, The Chronology of Water : A Memoir, Portland, Hawthorne Books, 2011. La Mécanique des fluides, traduction de Guillaume-Jean Milan, Paris Denoël, 2014.
The Chronology of Water. Réal, sc : Kristen Stewart ; ph : Corey C. Waters ; mont : Olivia Neergaard-Holm ; mus : Paris Hurley, Alexandra Eckhardt. Int : Imogen Poots, Thora Birch, Jim Belushi, Charles Carrick, Tom Sturridge, Susanna Flood (USA-France-Lettonie, 2025, 128 mn).