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10e Chambre, Instants d’audience (2004)
de Raymond Depardon
publié le mercredi 22 octobre 2025

par Hélène J. Romano
Jeune Cinéma n°290, été 2004

Sélection du Chicago International Film Festival 2004

Sorties les mercredis 2 juin 2004 et 22 octobre 2025


 


Raymond Depardon s’était déjà intéressé, il y a dix ans, à la confrontation des gens avec la Justice. Délits flagrants (1) trouve, dans 10e Chambre, une continuité. Ici, il ne s’agit que de délits mineurs ou moyens, mais chacun se défend avec opiniâtreté. Et le film donne, de manière équilibrée, la parole aux accusés, à la présidente du tribunal, aux procureurs et aux avocats. Ce qui apparaît ici, peut-être dans un souci d’équilibre, c’est le droit des prévenus à se défendre, dès lors qu’ils reconnaissent un minimum avoir eu tort - excès de vitesse, insultes à agent, conduite sans permis - ou avoir causé un préjudice.


 


 

Mais la présidente ne permet à personne de lui donner des leçons sur l’interprétation d’un point de droit. Encore que le discours sur la dangerosité d’un Opinel, par exemple, pourrait concerner aussi un autre outil. Nous observons en fait un éventail de psychologies : la défense des accusés va de la mauvaise foi patente, pour la subtilisation d’un portefeuille, ou pour le harcèlement d’une jeune femme (le prévenu est fermement invité à faire des excuses, et minore son délit en alléguant qu’il est calme dorénavant), à l’égarement d’un individu sous neuroleptiques, accusé d’avoir tiré à la carabine dans les rues, ou encore d’un jeune dealer rasta qui ne semble pas comprendre ce qui lui arrive.


 


 

La limite est ténue entre la Loi et son interprétation. Tout peut basculer très vite. On le sent dans la progression des dialogues. Face à un immigré désemparé ou à un jeune livreur qui conduit sans permis, il semblerait que cette même présidente - est-ce dû à la présence d’une caméra ? - propose des solutions. La notion de peine utile apparaît, de même que celle de soins, dans un cas particulier. Le filmage en plans fixes - puisque la caméra ne pouvait être déplacée sous peine de gêner les audiences - est très révélateur : de nombreux gros plans permettent de suivre sur le visage des accusés le besoin de résister, d’interpréter leur acte, de trouver un raisonnement pertinent. Les procureurs jouent leur rôle de censeurs, remparts de la Loi et de la sécurité de la société ; les avocats sont plus ou moins convaincants - l’un d’eux se lance dans des considérations philosophiques sur l’interaction amour / haine, inopérantes ici puisqu’elles reviendraient à justifier les mauvais traitements.


 


 

L’équilibre du montage de ces douze instants d’audience, choisis après trois mois de tournage, donne à comprendre l’essentiel, le rapport strict de l’individu avec la Loi. Il ne s’agit ici que de petits délits, avec des mesures préventives. On aimerait voir un nouveau film de Raymond Depardon ailleurs, en Cour d’assises par exemple, dont l’analyse serait sans doute fort intéressante.

Hélène J. Romano
Jeune Cinéma n°290, été 2004

1. "Délits flagrants", Jeune Cinéma n°229, octobre-novembre 1994.


10e Chambre, Instants d’audience. Réal : Raymond Depardon ; ph : R.D., Justine Bourgade & Fabienne Octobre ; mont : Simon Jacquet & Lucile Sautarel ; son : Sophie Chiabaut, Claudine Nougaret, Jean-Alexandre Villemer & Dominique Hennequin (France, 2004, 103 mn). Documentaire.



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