home > Films > Neon People (the) (2024)
Neon People (the) (2024)
de Jean-Baptiste Thoret
publié le mercredi 22 octobre 2025

par Lou Leoty
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 22 octobre 2025


 


Au cinéma, tout est une question de lumière, l’histoire d’un rai qui, dans sa traversée, révèle ou cache. Pour son sixième film, Jean-Baptiste Thoret éclaire les tunnels de Las Vegas, dans lesquels vivent, ou survivent, cloîtrés dans des conditions épouvantables, les abandonnés du rêve américain. Dès le générique, la lumière scinde le monde en deux. D’un côté les artifices emplumés, l’excessif simulacre kitsch du monde des casinos, du fric rapide, du sexe à consommer sur place ou à emporter. De l’autre, à l’ombre des néons, l’existence laborieuse des laissés-pour-compte qu’une mauvaise protection sociale couplée à un accident de la vie terrasse. Auprès d’eux, la lumière saisie par le cinéaste regagne son intégrité, son humanité, sa véracité. Cette idée est mise en exergue dès le seuil du film.


 


 

Le titre, The Neon People, préserve ainsi l’essence du film et son incarnation, par la lumière, d’une brisure sociale. Jean-Baptiste Thoret met dos à dos les lumières artificielles et celles de la survie, critiquant de cette manière l’écart immense entre le criard de "Sin City", et sa ville bâtarde, condamnée à être confinée dans ses souterrains. De là, découle l’un des tours de force du film : inverser le rapport de la normalité, et donc, détourner les représentations toutes faites de la marginalité. Il y a tout à admirer chez les bricoleurs des terriers, tout à exécrer chez les athlètes du portefeuille des machines à sous.


 


 

The Neon People, c’est un sempiternel dos à dos du rêve américain et de ses meurtrissures. Ainsi, un des sans-abris tourne le dos à un immense drapeau américain, ou encore, un homme fait la manche dans la rue, alors qu’il est encore écrit sur son front, à peine escamoté, comme une trace frelatée, l’enseigne mensongère qui résume la mythologie attachée au rêve américain :"The Miracle". C’est accorder beaucoup de grandeur au cinéma et de dignité à ceux qu’il saisit dans son champ que de penser que magnifier le réel par la mise en scène n’amoindrit pas la violence et le sordide, que la beauté ne détourne pas de la vérité. Il y a dans cette idée de faire cinéma avec le réel le plus infâme quelque chose de baudelairien qui a de quoi émouvoir et intéresser. Peut-on faire pousser des fleurs en enfer ? Peut-on, le dos courbé dans un tunnel miteux, avoir du plaisir, se divertir, si ce n’est être heureux, au moins parfois, s’y trouver bien ? Le documentaire pose la question du rapport entre l’art et le réel quand bien même ce dernier se trouve à la lisière de l’horreur. L’enjeu de The Neon People saillit au cœur de cette gageure : confronter le dénuement du peuple des néons à la richesse d’une représentation virtuose.


 


 

Jean-Baptiste Thoret fait dialoguer la misère et le besoin d’une expression artistique. Dès lors, la cartographie des tunnels se fait à la craie, par l’un de ses habitants, à même le sol, avec une attention aux couleurs, à l’ébauche de l’espace, comme le fait un peintre au moment de l’esquisse, à la recherche de son tableau. Dans les tunnels, comme dans des grottes de Lascaux d’un siècle nouveau, l’on dessine pour exister, l’on chante "The House of the Rising Sun", là où le soleil ne se lève pas. Le cinéaste ne tait pas la principale échappée face à la désolation : celle de l’ivresse et de la défonce, fuite des sens rapide, cyclique, qui permet de se dérober à la calamité, au chagrin, aux regrets. Dans les tunnels, si la vie extérieure est terrible, les habitants cherchent à densifier le plus possible leur vie intérieure à travers d’autres mondes : opiacés, artistiques, fictifs, comme en témoigne la présence d’une personne jouant avec un casque de réalité virtuelle.


 


 

En multipliant les références au genre fondateur de l’identité américaine qu’est le western, The Neon People circonscrit la marginalité dans la mythologie des États-Unis. La présence de ces coins du feu, du format scope, l’importance de la création et de la hiérarchisation d’un espace, terrain sans cesse hostile, mystérieux, en attente de déchiffrement soulignent une hérédité générique remise en question par le film. Le cinéaste décrit, non sans humour, son œuvre comme "un film de Wiseman filmé par Carpenter", d’un côté la rigueur et la retenue du geste documentaire, de l’autre la pulsation, l’esthétisme et la vibration de la fiction. On pense aussi à Jerry Schatzberg, à la résilience des junkies de son Panique à Needle Park (1971). Entre The Descent et Alien (1), avec la tendresse des monstres à l’italienne, le dernier film de Jean-Baptiste Thoret se trouve à la croisée des styles et des références. Il célèbre ainsi un cinéma qui ne veut pas occulter les délaissés, qui doit aussi regarder les esseulés des sillons de la gloire en face, avec déférence, et nous laisser au cœur des souvenirs amusés, émus, et surtout, révoltés. Sous les paupières d’un enfant, ces souvenirs se glisseront, seulement, ce visage endormi nous pose frontalement la question : saurons-nous ouvrir les yeux ?

Lou Leoty
Jeune Cinéma en ligne directe

1. The Descent de Neil Marshall (2005) ; Alien de Ridley Scott (1979).


The Neon People. Réal, sc, mu : Jean-Baptiste Thoret ; ph : Colin Lévêque ; mont : Sébastien de Sainte Croix (France, 2024, 124 mn). Documentaire.



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts