par Francis Guermann
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection officielle En compétition du Festival de Cannes 2025
Prix d’interprétation féminine pour Nadia Melliti
Queer Palm 2025
Sortie le mercredi 22 octobre 2025
Hafsia Herzi, actrice découverte à vingt ans dans le film La Graine et le Mulet de Abdellatif Kechiche (2007), devenu depuis son mentor (1), a coché ensuite toutes les cases d’une réussite exemplaire, assez libre et obstinée, dans le monde du cinéma. La petite fille de le banlieue nord de Marseille est devenue une interprète multi-récompensée dans les festivals et s’est engagée, à partir de 2019, dans la réalisation. La Petite Dernière est son troisième long métrage, construit à partir du récit autobiographique éponyme de Fatima Daas (2).
Fatima, dans le film (Nadia Melliti), a 17 ans et vit dans une tour de la banlieue parisienne au sein d’une famille joyeuse et aimante. Sportive passionnée de foot, musulmane croyante, c’est une fille discrète et peu expansive, bonne élève, qui réussit son bac et entre en fac à Paris pour étudier la philosophie. Elle s’émancipe alors de son milieu et assume, d’abord avec difficulté, son homosexualité.
Au gré des nouvelles personnes qu’elle côtoie et des occasions de rencontres qui se multiplient, ses certitudes vacillent et des questions l’assaillent : comment assumer ses désirs, comment vivre entre sa foi et sa sexualité, comment vivre sans meurtrir ses proches, sa mère, son ancien petit ami, comment s’éloigner des préjugés d’un milieu social qui attend d’elle ce qu’elle ne peut décidément offrir, un mariage, des enfants, une morale religieuse qui rejette son orientation sexuelle, la continuation de traditions.
Hafsia Herzi filme le parcours de Fatima avec une caméra mouvante, presque documentaire. Le montage, assez nerveux, est elliptique, évitant les lourdeurs d’une chronologie trop concrète. Surtout, Nadia Melliti crève l’écran avec son naturel et sa retenue, tout en assumant des moments audacieux de rencontres sexuelles.
Tout en étant attaché, sans lourdeur, au réalisme des lieux et des personnages (une famille maghrébine de la banlieue de Paris), témoignant aussi des assignations dans lesquelles vit la France périphérique et de la mince probabilité d’un ascenseur social, La Petite Dernière s’affranchit des anciennes histoires de beurs, des trafics de drogues et violences urbaines de films plus récents. La volonté d’évitement de toute cette imagerie négative ou péjorative est l’une des forces du film, c’est un choix qui sert le propos et qui met en valeur les personnages.
Film queer et féministe assumé, à l’image de Fatima Daas qui en est l’origine, son autre force, au-delà du film lui-même, est la continuité et la cohérence avec lesquelles ces trois femmes, Fatima Daas, Hafsia Herzi et Nadia Melliti,) chacune à leur place, exercent leurs talents et expriment leurs créativité. Elles sont des miroirs l’une des autres et servent un même projet, fait de sincérité, de sororité et d’audace artistique. Ces liens qui les unissent tiennent d’origines semblables (algériennes et tunisiennes) tout en étant nées en France et de nationalité française, mais confrontées toutes trois aux mêmes préjugés. Elles bousculent les bien-pensances et les assignations, refusent les replis, aussi bien ceux, réels ou imaginés, des Français d’origine maghrébine, que ceux plus nombreux des xénophobes ou intolérants qui, semble-t-il, vont croissant en ce pays. En cela, La Petite Dernière est un film politique.
Francis Guermann
Jeune Cinéma en ligne directe
1. "La Graine et le Mulet", Jeune Cinéma n°312-313, automne 2007.
Hafsia Herzi a tourné 4 films avec Abdellatif Kechiche, le dernier, Mektoub, My Love : Canto Due (2025) soit sortir le 3 décembre 2025.
2. Ses trois longs métrages ont été sélectionnés à Cannes. En 2019, Tu mérites un amour (2018) est sélectionné à la Semaine de la critique. En 2021, Bonne mère est sélectionné par le festival officiel, section Un certain regard. En 2025, pour La Petite Dernière, c’est la compétition officielle.
La Petite Dernière. Réal, sc : Hafsia Herzi, d’après La Petite Dernière de Fatima Daas (2020) ; ph : Jérémie Attard ; mont : Géraldine Mangenot ; mus : Amine Bouhafa. Int : Nadia Melliti, Ji-Min Park, Amina Ben Mohamed, Melissa Guers, Rita Benmannana ;Razzak Ridha, Louis Memmi (France, 2025, 107 mn).