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Springsteen : Deliver Me from Nowhere (2025)
de Scott Cooper
publié le lundi 27 octobre 2025

par Charles Ficat
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection du Festival du film de Telluride 2025

Sortie le mercredi 22 octobre 2025


 


Après le King - Elvis de Baz Luhrmann (2022) et le Zim - Un parfait inconnu de James Mangold (2025) (1) -, n’était-il pas légitime de consacrer à son tour au Boss un biopic ? C’est l’adaptation de l’essai de Warren Zanes, Deliver Me from Nowhere (2) qui a servi de trame au scénario. L’auteur n’est pas un inconnu. D’abord membre avec son frère des Del Fuegos, un groupe de Boston, qui rencontra un succès d’estime dans les années 1980, au point de participer, en 1987, à la tournée Rock’n’Roll Caravan de Tom Petty, il se consacra ensuite à la rédaction de livres sur le rock (Dusty Springfield, Tom Petty, etc.) et notamment sur le moment Nebraska de Bruce Springsteen, autrement dit l’année 1982.


 


 

Interprété par Jeremy Allen White (3) dans le rôle-titre, le film de Scott Cooper (4) s’articule autour de l’enregistrement de ce disque intimiste, très apprécié des fans de Bruce Springsteen. À l’époque, le rocker sort d’une tournée triomphale aux États-Unis et en Europe, à la suite du succès du double album The River. Se pose alors la question de la suite. En proie à une crise personnelle, Bruce Springsteen travaille parallèlement à ce monument que sera Born In The USA, et à ce projet acoustique, conçu sur une simple cassette dans sa chambre de Colt Necks avec un magnétophone quatre pistes, autour de chansons à forte connotation sociale : Nebraska.


 


 

Si l’idée de se concentrer sur cette période de transition en clair-obscur constitue une approche originale, le traitement laisse cependant à désirer. De trop nombreux flashbacks du chanteur vers son enfance et les relations intrafamiliales plombent le récit. Outre que ces retours ralentissent la progression de l’action, ils créent un malaise en s’éloignant de la réalité et en accentuant le mal-être que Bruce Sprinsteen enfant pouvait ressentir aux côtés de son père - si elle apparaît à l’écran, sa mère, elle, reste fantomatique.


 


 

On dirait que les scénaristes Warren Zanes lui-même, qui est aussi executive producer, et Scott Cooper, le réalisateur, se sont largement inspirés de l’autobiographie de Bruce Springsteen, Born To Run (5), qui accordait une large place à ses tourments dépressifs au détriment de la musique, alors qu’il incarne un juke-box vivant et connaît comme nul autre le répertoire de la musique américaine.


 


 

De même, le flirt avec Faye Romano (Odessa Young), la serveuse d’un diner du New Jersey, petite sœur d’un copain d’école, constitue un épisode complètement inventé et loin de la réalité, car dès son succès installé, le Boss s’est mis à fréquenter photographes à la mode, mannequins et autres actrices. Pour accentuer ses origines populaires et son attention vers les employés, on a monté de toutes pièces une romance qui sonne faux. On ne comprend guère pourquoi il quitte sa petite amie et sa fille, sinon au nom d’une incapacité à se projeter dans l’avenir.


 


 

On regrettera aussi l’absence de toute référence au contexte politique américain. L’action se déroule au cœur de l’année 1982, au milieu du premier mandat de Ronald Reagan, dont la couleur politique ne correspond pas aux orientations de l’intéressé. L’humeur sombre et tragique qui traverse l’album Nebraska n’est pas étrangère à ces circonstances précises de la société américaine. Il n’en est fait aucune allusion alors que Bruce Springsteen aura quelques années plus tard le loisir d’affronter le président américain, après la tentative de récupération par les républicains lors du triomphe planétaire de Born In The USA.


 


 

On appréciera, en revanche, davantage les costumes et les décors, des clubs aux intérieurs, qui eux reflètent cette époque et cette poésie du New Jersey célébrée dans les chansons springsteeniennes, ainsi que les quelques références à son panthéon personnel : le film de Terrence Malick, La Balade sauvage (1973), l’œuvre de Flannery O’Connor, ou le premier album du duo Suicide, qu’il écoute allongé par terre dans son salon. Le film aurait gagné à être truffé davantage de clins d’œil.


 


 

On retrouve aussi sa puissance de travail et d’écriture lors de la conception de l’album - "Deliver me from nowhere" est d’ailleurs le dernier vers de la chanson "Open All Night". Le point fort réside dans l’association entre le chanteur et Jon Landau, ici interprété par Jeremy Strong, son manager qui l’accompagne depuis 1975 et l’album Born To Run.


 


 

Finalement, ce sont les séquences consacrées à la musique qui sont les plus convaincantes, là où la narration ne s’égare pas dans des contre-allées bavardes. Si les membres du E Street Band n’apparaissent guère, Jon Landau et ses acolytes, à commencer par le producteur Chuck Plotkin (Marc Maron), transmettent aux cadres dirigeants du label Columbia le souhait de leur protégé de sortir un album entièrement acoustique, qu’ils arriveront finalement à imposer. Ces scènes, parmi les plus vivantes du film, quoique légèrement caricaturales, lui donnent un relief particulier et révèlent le caractère tenace du personnage principal. Elles compensent l’image d’un homme coincé dans la salle d’attente de son psychiatre, alors que l’artiste aux performances spectaculaires embrasait les salles de concert : n’était-ce pas ce dernier qui méritait un traitement cinématographique ? Trop de longueurs, trop de clichés, Springsteen : Deliver Me from Nowhere laisse au final un goût amer d’occasion manquée dans la transmission d’un mythe aux nouvelles générations.

Charles Ficat
Jeune Cinéma en ligne directe

1. "Un parfait inconnu", Jeune Cinéma en ligne directe.

2. Warren Zanes, Deliver Me from Nowhere : The Making of Bruce Springsteen’s Nebraska, New York, Crown, 2023.

3. Jeremy Allen White, Golden Globes 2025 : Meilleur Acteur pour la série The Bear (2022-2026).

4. Le premier film de Scott Cooper, Crazy Heart (2009) a reçu deux Oscars en 2010 : Meilleur Acteur pour Jeff Bridges et Meilleure Chanson originale.

5. Bruce Springsteen, Born To Run New York, Simon and Schuster, 2016.


Springsteen : Deliver Me from Nowhere. Réal : Scott Cooper ; sc : S.C. & Warren Zanes, d’après son livre ; ph : Masanobu Takayanagi ; mont : Pamela Martin ; mu : Jeremiah Fraites. Int : Jeremy Allen White, Jeremy Strong, Stephen Graham, Odessa Young, Paul Walter Hauseer, Gaby Hoffmann (USA, 2025, 119 mn).



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