home > Films > Visita (la) (2014)
Visita (la) (2014)
de Mauricio López Fernández
publié le mardi 10 mai 2016

par Alicia Merino
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 11 mai 2016


 


La visita est le premier long métrage (1) du jeune réalisateur chilien, Mauricio López Fernández, directement inspiré de son court métrage éponyme réalisé en 2010.

Au Chili, dans la grande maison d’une famille bourgeoise, catholique et conservatrice, cohabitent maîtres et employés.
Coya (Rosa Ramirez), une des domestiques d’origine indienne vient de perdre son époux. Alors qu’elle veille son mari défunt, quelqu’un frappe à la porte. C’est Elena, sa fille, ou plutôt son fils devenu transsexuel (Daniela Vega), de retour pour visiter une dernière fois son père et l’enterrer. Cette visite particulière va bouleverser la maisonnée et sans doute aussi réveiller les consciences.


 


 

Le contexte du film n’est pas sans nous rappeler l’œuvre magnifique de l’Espagnol Mario Camus, Los santos inocentes, qui met en exergue la servilité des employés dans une hacienda espagnole rurale, permettant ainsi de comparer le portrait de deux nations ibériques, modernes mais aussi féodales par bien des aspects. La première scène du film est un écran noir, suivi d’un gros plan sur un enfant à qui l’on apprend à tirer sur un oiseau (autre parallèle avec la Milana Bonita de Los santos inocentes). Cette scène augure d’un apprentissage violent, celui de la vie des enfants qui, livrés à eux-mêmes, vivent la plupart du temps dans un ennui certain et la plus grande des confusions. Scène de chasse, avec son silence imposé, elle donne le ton du film.


 

Le silence est le vrai maître à bord, pas le silence serein et structurant qui repose et reconstruit, mais le silence qui blesse (l’oiseau agonisant), ce silence violent et étouffant des secrets de famille qui occulte la vérité et ne libère pas, le silence pathologique d’une névrose familiale. Un coup de feu, comme un coup de tonnerre, fait apparaître le titre : La visita.

Le film se fait volontairement long, à l’image de la vie de la famille. Le sommeil règne. Chez la maîtresse de maison Tété/Teresa (Claudia Cantero), qui s’y réfugie dans le sommeil lors de ses migraines.
Chez le père, Enrique (Paulo Brunetti), qui fuit ses responsabilités et sa vie maritale ennuyeuse.
Chez les petites filles de la famille qui se travestissent aussi d’une certaine manière. Déguisées et maquillées comme des femmes, elles trompent leur ennui devant des écrans de télévision vides.
Le sommeil apparaît ici comme comme une délivrance, et comme une allégorie de la mort.

La mort est l’autre thème connexe au sommeil et au silence et elle imprègne tout le film, présente partout et tout le temps.
D’abord avec la figure du mort que l’on devine puis que l’on voit, la présence du cercueil et des chambres tamisées - plus des chambres funéraires et lugubres que des lieux intimes -, la litanie des prières, la présence des croix, le chien et l’oiseau agonisants, les coups de feu, ou encore ces histoires sordides et un peu surnaturelles que raconte Rita, l’autre bonne, aux enfants.
Le sentiment de malaise est accentué par les nombreux barreaux visibles, dans les rampes d’escaliers, les portes, les fenêtres. Il y a des barbelés dans le jardin et tout autour de la maison. La famille est une "institution", et se présente comme un univers carcéral.


 

Le film propose une critique de la petite bourgeoisie rurale décadente (la crise est passée par là) et hypocrite, où se pratiquent la condescendance et l’humiliation. Comme cette scène à l’hôpital : la maîtresse de maison s’y présente comme unique famille de la blessée Coya, sa servante donc sa propriété. Même à l’heure actuelle, les serviteurs peuvent encore subir un droit de cuissage et ont, de toute façon, le devoir de se taire et de se soumettre. On le voit bien quand Enrique, le père de famille, observe Elena assise sur les toilettes ou quand Tété la caresse dans la cuisine. Elena est gênée, elle subit et se tait par habitude.

Avec la cigarette (l’amie d’Elena) ou le téléphone portable (l’ami de Tété), il y a un parallélisme intéressant entre les solitudes, celle de la bourgeoise et celle de la servante. La plus douloureuse est sans conteste celle du petit garçon de la famille, Santi, contraint de rester là, qui s’atrophie peu à peu en écoutant les conversations et les chuchotements mortifères de la maisonnée. Il finira lui aussi par se travestir.
Doit-on penser alors que les travestissements d’Elena, des petites filles, de Santi, sont une fuite pour les esprits purs, une échappatoire vers la liberté, un retour vers l’enfance ?


 

Dans la scène du repas des funérailles qui, à la fin, réunit tout le monde, on voit cet entremêlement des problématiques et des solitudes. Chacun semble à égalité face à la misère sentimentale.
Elena, qui n’avait d’ailleurs jusqu’ici pas d’existence légitime (ni de couverts à table), finit par prendre la place du chef de famille face à Tété, sa maîtresse. Les femmes de la maison restent seules, les hommes se taisent et sont absents physiquement (ou hors champ). Elena a fui son identité masculine en devenant femme, le père d’Elena est mort, Coya est veuve, Enrique a quitté sa famille, sa femme et ses responsabilités et le mari de Mme Cato n’est pas là non plus.


 

Il ne faut cependant pas voir La visita comme un film uniquement noir.

C’est aussi un film sur la tolérance et l’amour filial authentique entre une mère et son fils, un amour fort qui, malgré les difficultés et le deuil, transcende tous les types de soumissions.
La mère et sa "fille" se rapprochent physiquement peu à peu, d’abord en se mimant (elles se maquillent côte à côte, l’image du miroir comme reflet d’elles-mêmes et de leur féminité) puis en se détestant et en se battant (quand Elena part flirter avec le plombier maquillée telle une égérie almodovarienne en tenue léopard), puis finalement en se touchant, quand Coya blessée est bordée et lavée par sa fille. Elles se protègent l’une et l’autre avec beaucoup de tendresse.

Il y a aussi de l’humour. Un humour noir et timide, certes, mais un humour bien présent et salutaire qui nous permet de souffler et de sortir un peu de cet univers anxiogène. Par exemple, Elena arrive en retard à la cérémonie funéraire habillée comme un homme. Elle tente, dans un léger soupir, de ranger maladroitement son sexe encombrant dans son pantalon beige.
Paradoxalement, c’est aussi la pièce où gît le mort qui est la plus lumineuse. La mort apparaît ici plutôt comme une fête avec, en fond sonore, les rires des enfants. Il y a aussi cette autre scène croustillante avec ce gros plan sur l’entrecuisse du plombier en short, qui, remarquant Elena, s’adresse à Coya : "Je ne savais pas que vous aviez une fille". Almodovar et Lucrecia Martel (La Cienaga) ne sont pas loin.

La visita est un film intelligent où les protagonistes "populaires", Coya et Elena, parlent peu, se déchirent, mais finalement s’aiment, s’acceptent et se retrouvent.

Le réalisateur utilise quelques-uns de ses souvenirs (il a conservé des noms de sa propre famille) pour finalement comparer par effet de miroir, l’institution familiale rurale et bourgeoise et la société chilienne, machiste, hypocrite et trop souvent soucieuse des apparences.
La visita rend enfin hommage aux femmes chiliennes, certes fortes mais encore dépendantes des hommes, et qui restent en quête de légitimité, quelle que soit leur classe sociale. C’est un film juste et sobre qu’il faut découvrir.

Alicia Merino
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Colibri d’or des Rencontres du cinéma sud-américain de Marseille 2015, 17e édition.

La visita. Réal, sc : Mauricio Lopez Fernandez ; ph : Diego Poleri ; mont : Valeria Hernandez ; mu : Aleksos Vuskovic. Int : Daniela Vega, Rosalinda Ralirez, Claudia Cantero, Carmen Barros, Paulo Brunetti (Chili-Argentine, 2014, 82 mn).

Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts