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Supplication (la) - Voices from Chernobyl (2015)
de Pol Crutchen
publié le mardi 22 novembre 2016

par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 23 novembre 2016


 


Des images silencieuses. Des maisons abandonnées et bizarrement envahies, en quelques années, par une végétation qui a bourgeonné sur les rems, des mastodontes industriels pétrifiés, dévastés, et une faune mutante, des oiseaux, des chats, des regards. C’est Tchernobyl (1), trente ans après.

Puis arrivent les voix et les mots, une polyphonie.
Des femmes pleurent leurs bien-aimés, des parents leurs enfants, des enfants parlent de leur mort prochaine. Les victimes directes, les toutes premières, avec leurs agonies non répertoriés par le corps médical et leurs morts inconnues.


 

Puis il y a eu les sacrifiés qui ont suivi.
D’abord les pompiers immédiatement envoyés sur le site. Puis les milliers d’ouvriers réquisitionnés dans toute l’URSS, les "liquidateurs", qui ont travaillé dans la zone interdite sans aucune protection à une improbable décontamination des terrains. Il y a aussi les mineurs, qui ont travaillé dans le sous-sol, dont personne n’a jamais parlé. Eux ont mis plus de temps à mourir. Ils étaient jeunes, ils étaient condamnés.
"Ce ne sont pas des victimes, ce sont des héros".
Tous se tiennent. Comme dans une chorale.


 

Un haut-responsable de l’énergie déplore qu’on ne l’ait ni compris ni même écouté, et qu’on ait laissé inutilisées, dans les entrepôts, ces 700 tonnes d’iode prévues pour la prévention des cancers. "C’était pas des criminels, c’était des ignorants. Chacun attendait un ordre".
Il y a les erreurs, les fautes, les responsabilités de la bureaucratie.
Mais ce n’est pas le vrai propos du film qui n’est pas un réquisitoire.

Cette "chose-là", cet ineffable vécu, ces voix terrassées qui accompagnent en off des visages muets et figés, et une Nature "déchaînée", forment un contraste d’une drôle d’espèce, qui s’apparente au "mystère" médiéval, tout pétri de surnaturel.


 

Pol Crutchen a voulu transposer l’œuvre essentielle de Svetlana Alexiévitch (2).
Mais il la prolonge plutôt, en cherchant à discerner l’état de ces vies déviées après l’explosion.
On se demandait ce qu’il pourrait faire.
On ne pouvait espérer mieux pour étendre, par la voix et l’image, cette description des traces de "la radiation" : la supplique hallucinée des humains humiliés aux divinités triomphales et impitoyables.


 


 

Voilà un film qui déblaye les poncifs et repose des complaisances.
Un film à voir, à lire, à entendre (3).

Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°374 été 2016

1. À Tchernobyl, Ukraine, l’accident de la centrale soviétique Lénine, est survenu il y a plus de trente ans, le 26 avril 1986. Il a été classé au niveau 7 sur l’échelle internationale des accidents nucléaires. L’équivalent de 350 bombes de Hiroshima, autant que Fukushima en 2011. Les populations n’ont pas été évacuées tout de suite. Il a fallu dix-huit jours pour éteindre le cœur du réacteur en fusion. Puis des mois pour "décontaminer" et construire un sarcophage, qui s’est révélé dix ans après, complètement défaillant.
Inutile d’épiloguer sur la communication en France : les radiations ne franchissent pas les frontières.

2. Prix Nobel de littérature 2015.

3. Le film a obtenu le Grand prix du Festival d’Environnement de Paris 2016.


La Supplication - Voices from Chernobyl. Réal, sc : Pol Crutchen, d’après La Supplication - Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse de Svetlana Aleksievitch (1997) ; ph : Jerzy Palacz, AAC ; déc : Ivan Levchenko ; mont Dominique Galliéni ; mu : André Mergenthaler, Luma Luma Earthsounds. Int : Dinara Drukanova, Iryna Voloshyna, Vitalyi Matvienko (Luxembourg-France, 2016, 86 mn).



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