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Cannes 2011 : Panorama-bilan
publié le jeudi 14 juillet 2011

Cannes 2011, 64e édition, du 11 au 22 mai 2011

Pour une fois, les commentaires émis immédiatement après le palmarès par les périodiques (à l’écoute des réactions sur place, il y a peu de chances que la tonalité des mensuels soit différente) furent univoques, saluant le haut niveau de qualité offert à la fois par la sélection officielle, compétition et annexes, et les sections parallèles, Semaine de la Critique, et Quinzaine des Réalisateurs - avec un bémol cependant pour cette dernière, dont le délégué semble ne pas jouir auprès des gazettes de la même faveur que celle accordée à son prédécesseur.

Sélections de haute tenue, donc. Pas d’injustices, pas de scandales, (presque) pas de producteurs protestant contre l’oubli de leur produit parmi les élus, pas de titres mis de côté à contrecœur.
Même l’accusation récurrente de ne trouver en compétition que des "abonnés" a fait long feu : oui, il y avait des noms d’habitués à l’affiche.
Mais comment ne pas accueillir Paolo Sorrentino, Lars von Trier ou Aki Kaurismäki s’ils sont à leur meilleur ? Souhaitons aux prochains festivals d’été, Locarno et Venise, de pouvoir puiser dans un vivier de la même fraîcheur.

Faut-il vraiment tenter de dégager une tendance générale ?
À travers la grosse centaine de films projetés, il y forcément un air du temps qui se dégage - mais est-il bien différent de celui des crus précédents ?
Dans un tel échantillonnage, on trouvera toujours un fonds commun incluant, à doses variables, l’amour, la mort, la maladie, la difficulté d’être, le rapport au père (ou à la mère), tout ce qui constitue l’essentiel de l’inspiration des cinéastes, quelle que soit l’époque. Le traitement peut évoluer, les drames prendre d’autres apparences et les antagonismes d’autres formes, les conditions politiques déterminer d’autres approches, fondamentalement, les mêmes thèmes perdurent.
Tout est ensuite question de doigté - ainsi, sur le même sujet du cancer du cerveau, Andreas Dresen signe avec Arrêt à mi-pente un film glaçant, Gus Van Sant avec Restless une magnifique histoire d’amour et de mort, et Valérie Donzelli avec La guerre est déclarée, pourtant le seul basé sur une histoire personnelle, une romance tire-larmes, pour nous peu convaincante.

L’affaire DSK, rare apparition de la vraie vie dans la bulle cannoise (pendant deux jours elle occupa la télévision interne autant que les conférences de presse) est venue s’inscrire naturellement dans un festival dans lequel la politique, au sens professionnel du terme, tenait une place rare.
Pas tellement sous la forme du coup médiatique que constitua la projection de La Conquête de Xavier Durringer, dont, une fois admiré le jeu bien imité des marionnettes Podalydès-Sarkozy et Le Coq-Chirac, l’insignifiance éclate.
Mais l’étonnant exercice tenté (et réussi) par Alain Cavalier du film politique en chambre, ou plutôt en appartement, consistant à entraîner Vincent Lindon dans le jeu du "si j’étais" - en l’occurrence un Premier ministre sous la houlette de Cavalier lui-même en Président -, représente l’antidote parfait de La Conquête, décryptant de façon ludique les mécanismes du pouvoir, sans y croire tout en y croyant, belle démonstration de jeu de dupes.
Un jeu ambigu que Pierre Schoeller prend, lui, au sérieux : son ministre des Transports, incarné magistralement par Olivier Gourmet, fait de L’Exercice de l’État un des films les plus justes sur un univers pas si souvent traité par le cinéma français.

"La famille, ça fait partie des p’tits soucis quotidiens", chantait Sheila, il y a quarante ans et plus. Affirmation toujours valide, si l’on en croit le nombre de titres tournant autour du problème. Oublions la fin du distique ("Mais pourtant, c’est une chose qu’on aime bien") car c’est plutôt du côté du nœud de vipères ou du scorpion sous sa pierre qu’il conviendrait de chercher.
L’enfant était au cœur d’une bonne moitié des films offerts : enfant monstrueux de We Need to Talk About Kevin (Lynne Ramsay, avec une sublime Tilda Swinton), enfants écrasés par le tyran paternel de The Tree of Life, enfant rebelle à la mère de substitution du Gamin au vélo (les frères Dardenne), enfant violé de Michael (Markus Schleinzer), enfants en danger de Polisse (Maïwenn), enfant sacrifié de Toomelah (Ivan Sen), enfant clandestin du Havre (Aki Kaurismäki), enfant manipulé de My Little Princess (Eva Ionesco).
Et sans compter les adolescents en interrogations (17 filles des sœurs Coulin, Play de Ruben Östlund, Restless, En ville de Valérie Mrejen & Bertrand Schefer, Avé de Konstantin Bojanov…). Allons, la descendance de Zéro de conduite et de Poil de carotte n’est pas près de s’éteindre.

La violence, d’habitude la chose la mieux partagée, prenait cette saison des formes moins brutales : si l’on excepte le seppuku au sabre de bois de Hara-kiri (Takeshi Miike) et les exécutions de Drive (Nicolas Winding Refn), tout le reste était d’ordre plus subtil - violence larvée de la prostitution : Sleeping Beauty (Julia Leigh), et
L’Apollonide. Souvenir de la maison close (Bertrand Bonello) ; angoisse diffuse de fin du monde (Melancholia (Lars von Trier) ; violence souterraine des relations femmes-hommes de La Source des femmes (Radu Mihaileanu) ou difficilement contenue pour Et maintenant, on va où ? (Nadine Labaki), jolie comédie sur l’écartèlement des communautés religieuses dans un même village ; violence hors champ (Once Upon a Time in Anatolia (Nuri Bilge Ceylan) ; violence métaphysique de Hors Satan (Bruno Dumont) ; antagonisme de classes dans Elena (Andréi Zviaguintsev) ; jusqu’à la violence universitaire latente de Footnote (Joseph Cedar).
Sans oublier les (très beaux) films iraniens - l’éventail des capacités était large ouvert.

La Semaine de la Critique a célébré avec faste sa 50e édition, qui a connu l’assistance des grands jours, et joué la parité, puisque parmi les dix films choisis, cinq étaient dus à des réalisatrices (à Donzelli, Coulin et Ionesco, s’ajoutaient Katia Lewkowicz, Pourquoi tu pleures ? et Hagar Ben Asher, The Slut) - même si les prix, mérités, furent attribués à Take Shelter (Jeff Nichols) et Las acacias (Pablo Giorgelli).
Jean-Christophe Berjon a terminé en beauté son mandat de délégué général, il sera regretté.

Du côté de la Quinzaine des réalisateurs, la sélection n’a pas éveillé les pâmoisons d’usage de la part de la frange radicale de la critique. Faute d’avoir vu une part substantielle du programme, nous éviterons tout jugement global - reconnaissons que, entre Impardonnables, film mainstream d’André Téchiné, et l’ineffable Des jeunes gens mödernes, de Jérôme de Missolz, la ligne directrice paraît un peu molle. Il n’empêche, certains titres valaient d’être abordés. Ajoutons-y l’intéressant La Fin du silence de Roland Edzard, sur lequel nous reviendrons.

Quant au palmarès, il est ce qu’est toujours un palmarès, un motif de satisfaction ou d’énervement.
Nous ne reviendrons pas sur la palme décernée au film de Malick ; disons simplement que nous sommes loin d’être en accord avec l’emballement général pour The Tree of Life. Tout est affaire de perception, et Malick se serait contenté du seul épisode texan que nous l’aurions plébiscité ; pour le reste, nous n’avons éprouvé qu’agacement devant sa cosmogonie appliquée et incompréhension devant les errances renfrognées de Sean Penn. Position peu partagée, en tout cas pas par le public et c’est tant mieux pour Malick.
Il est fort dommage que Melancholia soit l’œuvre d’un sire peu fréquentable, car il s’agissait, malgré sa construction, du film le plus impressionnant de la décade, et qui valait mieux que le seul Prix d’interprétation récolté par Kirsten Dunst.
Applaudissons le cinéma français, si bien récompensé, tout en craignant que l’accueil réservé aux deux lauréats, Polisse et The Artist (Michel Hazavicinius) ne soit un peu surdimensionné. Verdict en automne, lors de la sortie de chacun.

Mais le trouble, majeur, vient de l’oubli de Kaurismäki :Le Havre est un film magnifique, dans lequel on retrouve en concentré les qualités majeures du maître, générosité, simplicité, amour de ses personnages, faculté de créer avec presque rien une émotion majuscule.
Que les œuvres, estimables mais en roue libre, de Bilge Ceylan et des Dardenne, aient été promues plutôt que la délicieuse bouffée d’oxygène havraise, c’est là une injustice dommageable.
Souhaitons au cinéaste d’être au-dessus de ces médailles ; l’essentiel est qu’il ait, pour son retour en France, signé ce bijou.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°338-339, juillet 2011

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