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Paterson (2016)
de Jim Jarmusch
publié le mercredi 21 décembre 2016

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 374, été 2016

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 2016

Sortie le mercredi 21 décembre 2016


 


Jim Jarmusch a lâché les vampires désabusés de son récent Only Lovers Left Alive (1) qui, de Detroit à Tanger, traversaient les continents et les époques. Cette fois-ci, le voyage de ses deux personnages est immobile, de Paterson à Paterson, New Jersey, en une assez courte unité de temps - une semaine. L’homme est conducteur de bus, un bus dont le terminus est un quartier nommé Paterson - et comme lui-même se nomme Paterson, on ne peut guère rêver mieux comme enfermement.


 

Il part littéralement chaque matin, comme chantait Léo Ferré, à l’autobus de l’aventure, tandis que Mrs. Paterson reste à la maison, décorant de motifs noirs et blancs la maison, les meubles, les vêtements, la nourriture même. Lui, l’œil et l’oreille à l’affût, transcrit les épiphanies qu’il perçoit - des jumeaux incongrus, une conversation anodine entre passagers - en courts poèmes, notés dans un cahier qui ne quitte pas son tableau de bord, et qui s’inscrivent sur l’écran au fil de leur écriture. Des poèmes à la banalité revendiquée, dans la lignée du grand Williams Carlos Williams, né et mort à Rutherford, banlieue de Paterson…
Nous avions souvent rapproché la manière de Jim Jarmusch de celles de Raymond Carver ou de Steven Millhauser, ces minimalistes inspirés, sans songer à W.C.W., influence pourtant évidente. Merci à l’auteur de nous offrir ses clés.


 

Rien n’arrive : les époux s’adorent sans limites, les événements majeurs consistent en un concours de cupcakes (que Laura remporte avec ses gâteaux noirs et blancs), au déglinguage quotidien de la boîte à lettres par Marvin, leur bouledogue (Palme Dog méritée pour ce chien génial) et à une ultime rencontre avec un amateur japonais du poète, qui atteint un sommet dans le non-dit grouillant d’infra-mondes qui est la spécialité de Jim Jarmusch.


 

Rien n’arrive et tout est admirable, de la tendresse qui suinte de chaque phrase échangée au drame du cahier de poèmes détruit avant d’avoir été sauvegardé. Le cinéaste n’a jamais œuvré dans le "grand film" normé compétition mais le degré d’émotion pure qu’il nous fait partager vaut toutes les médailles. Remercions-le d’avoir choisi pour héroïne Golshifteh Farahani, la plus belle actrice en circulation.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 374, été 2016

1. Only Lovers Left Alive, Jeune Cinéma n°358, mars 2014.


Paterson. Réal, sc : Jim Jarmusch ; ph : Frederick Elmes ; mont : Alfonso Gonçalves ; mu : Drew Kunin. Int : Adam Driver, Golshifteh Farahani, William Jackson Harper, Chasten Hamon (USA, 2016, 113 mn).



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