home > Films > Corporate (2017)
Corporate (2017)
de Nicolas Filhol
publié le mercredi 5 avril 2017

par Théo Kayan
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 5 avril 2017


 


Céline Sallette est immense.

Elle porte Corporate. Elle y insuffle une respiration de perversité et de fragilité perdue. 

Elle lui offre un portrait de femme moderne, toute de solitude et de justesse. Comédienne qui possède son art à merveille, Sallette a reçu un César et un prix Romy-Schneider. Et pourtant c’est à Simone Signoret qu’elle fait penser, au détour de sa mélancolie puissante et incarnée, un soupir que l’on a envie de prendre dans ses bras mais qui demeure toujours sauvage.

Dans le film de Nicolas Silhol, elle interprète Émilie Tesson-Hansen, une directrice des ressources humaine prise dans la tourmente d’une enquête judicaire.


 

Le film, déshumanisé, froid, sans grand courage, ni folies. C’est d’ailleurs la cohérence du réalisateur : il nous parle d’un monde qu’il connaît bien, son père était prof de management et consultant en ressources humaines.

Entre management et lanceurs d’alerte, le scénario est tiraillé. Il a du mal à trouver son point de vue et évolue vers une variation désabusée sur les méthodes des grandes entreprises et un regard glacial sur les "lanceurs malgré eux".

Dans cet univers, le personnage de Émilie demeure énigmatique.
On s’interroge sur ses réelles motivations. On est effayé par son apathie et son individualisme forcené. "Toujours seule mais en mouvement" pourrait être son leitmotiv. C’est d’ailleurs sa frustration dans le film : elle ne rencontre pas grand monde, Émilie.


 

Au détour de l’enquête, elle va croiser quelques personnages, sans les rencontrer vraiment.

Il y a Stéphane De Groodt en dragueur, humain et pleutre, touchant de mollesse.


Il y a un Lambert Wilson, excellemment absent, qui rend crédible son personnage de patron au taquet. On pense au film de Roberto Ando, Les Confessions, cette photographie de notre époque, la même déshumanisation, la même désincarnation, un individualisme suicidaire.



 

Il y a aussi une inspectrice du travail, jouée par Violaine Fumeau, dont le rôle est un peu étroit et c’est dommage. Au départ, c’était une belle idée de confronter deux femmes de pouvoir, du même âge, inscrites dans le monde du travail de plain pied avec les hommes. Tout ce qui va les réunir les oppose. Mais, au finale, il n’y a pas de rencontre, l’inspectrice reste une âme grise, qui ne déclenche rien et donne peu.


 

Si Émilie est une héroïne, alors c’est une héroïne maudite - son mari ne la connaît pas, son amant est congédié, et son avenir oscille entre un réseau professionnel cramé et une bataille judiciaire au chômage.

Cette solitude scénaristique volontaire se trouve redoublée par une faiblesse des personnages seconds rôles, ternes et écrasés, à part un syndicaliste qui ose le coup de poing contre le coup de sang.


 

La fin est positive, mais "réaliste", selon la définition de l’auteur. Elle est surtout très polie, et ne pousse pas franchement à la révolte. Nicolas Filhol dit se défier de toute morale et préfèrer parler d’éthique.
Habile jeu sur le mot "morale".
Car le fait que notre lanceuse d‘alerte finisse si seule, c’est bien une morale… de l’histoire, non ?

Même Snowden dans le biopic de Oliver Stone récupère sa part d’amour.
Ici, le courage n’est qu’une histoire de déraison, de petite nécessité.
Pour accéder aux grands principes, la morale ou l’éthique, il faut une autre envergure.

Théo Kayan
Jeune Cinéma en ligne directe

Corporate. Réal, sc : Nicolas Filhol ; sc : Nicolas Fleureau ; ph : Nicolas Gaurin ; mont : Florence Bresson ; mu : Alexandre Saada. Int : Céline Sallette, Lambert Wilon, Stéphane De Groodt, Violaine Fumeau, Alice de Lencquesaing (France, 2017, 95 mn).

Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts