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Moissons du ciel (les) (1978)
de Terrence Malick
publié le mercredi 17 juillet 2019

par Claude Benoît
Jeune Cinéma n°120 de juillet-août 1979

Prix de la mise en scène du Festival de Cannes 1979.

Sorties les mercredis 16 mai 1979, 16 juin 2010, 21 mai 2014 et 17 juillet 2019.


 


Entre Les Moissons du ciel et Badlands (1) le premier film de Terrence Malick réalisé quatre ans avant, il y a une troublante continuité, une permanence des thèmes et du ton vraiment déconcertante. Pourtant les deux œuvres sont d’un abord bien différent.


 

Situé au cœur des années 50 dans un État du Middle West, le Sud Dakota, Badlands, qui retrace la fuite désordonnée d’un couple de jeunes gens (Martin Sheen et Sissy Spacek), trouvant un refuge provisoire dans une nature neutre, est une manière de thriller, réservé, secret. Éludant volontairement les scènes de violences et de meurtres qui servent de point de départ, ou sont prétextes à des rebondissements, le cinéaste s’attache surtout, au long de ce film profondément original, à décrire les relations subtiles, étranges qui unissent deux êtres immatures, à dépeindre la réalité complexe de sentiments apparemment simples.

La même sensibilité, la même délicatesse dans l’étude des rapports entre les personnes, caractérisent Les Moissons du ciel, qui, mettant également en scène deux jeunes gens, n’est certes pas un thriller, mais un film inclassable, lyrique, mi-roman rural, mi-poème panthéiste.

Par la voix d’une enfant, Linda, la petite sœur du héros, Terrence Malick chante la triste ballade de Bill et Abby, qui, ayant quitté la cité industrielle de l’Est où ils n’avaient plus de travail, louent leurs bras, - le temps des moissons - à un riche fermier texan.


 


 

Bill fait passer Abby sa compagne, pour son autre sœur. Apprenant incidemment que le fermier, Chuck, qui se meurt d’un mal sans rémission, n’a plus qu’un ou deux ans à vivre, il pousse celle-ci à épouser celui-là.
De ce jeu hasardeux, de ce subterfuge puéril, naissent un amour compliqué et une série de passions contradictoires, qui, s’affrontant et se heurtant les unes les autres, mènent nécessairement à la tragédie.


 

S’efforçant de ne jamais glisser dans les délices équivoques de la reconstitution (l’action se déroule en 1916), Malick dépasse la minceur apparente de son scénario par une mise en scène parfaite dans laquelle les temps forts, les moments de paix et les silences se fondent harmonieusement.


 

Ainsi, des séquences d’une grande puissance comme la scène d’ouverture dans l’aciérie aux environs de Chicago, l’arrivée des migrants à bord du train traversant une campagne immense, l’embauche des ouvriers agricoles, le travail dans les champs de blé, nous projettent dans un monde âpre, rude.

Le calme qui suit - les bains dans la rivière, les repas sous la véranda, la représentation des comédiens voyageurs - est trompeur, et tous les gestes les plus anodins (caresses furtives, regards vagues, paroles banales) sont en fait les signes annonciateurs du drame.


 

Avec une logique implacable, le film s’achève sur deux scènes de destruction à la fois antithétiques et complémentaires.
L’une est essentiellement nocturne, est sauvage et spectaculaire (l’invasion des sauterelles, l’incendie des champs de blé, le meurtre presque accidentel). L’autre est diurne, brutale et mélancolique (l’exécution par la police dans un sous-bois au bord de la rivière).

Terrence Malick affirme décidément une totale maîtrise à tous les niveaux de sa mise en scène. Le récit est conduit avec une rare intelligence, dialogues peu nombreux, narration à la première personne. La bande son est travaillée à l’extrême, importance des bruits même les plus quotidiens. La photo est constamment inspirée, abondance de gros plans et de plans rapprochés.


 

La direction d’acteurs, surtout, est très sûre : Richard Gere, Brooke Adams et surtout Sam Sheppard - l’une des figures de proue du théâtre "Off Off Broadway" dans les années 60 dont c’est le premier rôle au cinéma - transfigurent les personnages qu’ils incarnent.

Les Moissons du ciel, second film d’un auteur, est plus qu’une promesse tenue : c’est presque déjà une consécration.

Claude Benoît
Jeune Cinéma n°120 de juillet-août 1979

1. La Balade sauvage (Badlands, 1973) est sorti en France le 4 juin 1975.


Les Moissons du ciel (Days of Heaven). Réal, sc : Terrence Malick ; ph : Néstor Almendros ; mu : Ennio Morricone ; cost : Patricia Norris ; mont : Billy Weber. Int : Richard Gere, Brooke Adams, Sam Shepard, Linda Manz, Robert J. Wilke, Jackie Shultis, Stuart Margolin, Tim Scott, Doug Kershaw, Richard Libertini, Bob Wilson, John Wilkinson (USA, 1978, 94 mn).



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