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Vénérable W. (le) (2017)
de Barbet Schroeder
publié le mercredi 7 juin 2017

par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n° 381, été 2017 (à paraître)

Sélection officielle hors compétition du festival de Cannes 2017

Sortie le mercredi 7 juin 2017


 


Voici l’ultime volet de ce que Barbet Schroeder a appelé un peu pompeusement la "Trilogie du Mal", après Général Idi Amin Dada, autoportrait (1974) et Jacques Vergès, l’avocat de la terreur (2007).
Le principe est simple. À chaque fois, Barbet Schroeder prend rendez-vous avec le "monstre" choisi et lui pose toutes les questions pour le pousser dans ses derniers retranchements et mettre l’accent sur l’horreur qu’il représente.

Pour ce dernier film, il a rencontré le vénérable bouddhiste Wirathu, devenu une véritable icône en Birmanie, fomentant des révoltes, encourageant les habitants à brûler les maisons des Rohingyas, etc.
Pour l’apprivoiser, il lui a dit qu’il avait réussi à faire imposer à son pays les lois raciales que Marine Le Pen voudrait instaurer en France.
Le discours de W., donc, puisque Barbet Schroeder hésite à l’appeler de son nom entier, comme pour bien insister sur l’anathème qu’il lui jette, est tellement insupportable qu’il va tenter de le tempérer en faisant intervenir deux autres vénérables bouddhistes qui ne sont pas d’accord totalement avec Wirathu.


 

Dans sa forme, le film est très intéressant, mais c’est au niveau du fond qu’il pêche un peu par angélisme. On peut tout d’abord se demander pourquoi n’avoir choisi que ces trois seules figures du Mal, alors qu’il est partout. Pourquoi pas une tétralogie, en rencontrant par exemple un dirigeant de Daesh ? Serait-ce trop risqué ?

D’autre part, le terme de "populisme" est utilisé ici à tort et à travers, mais surtout de manière purement péjorative. Le terme le plus judicieux pour caractériser la politique incarnée par le vénérable W. serait plutôt celui de nationalisme. Même si les méthodes qu’il propose sont plus qu’extrêmes, même si son discours est raciste, il n’en demeure pas moins qu’il représente la lutte de deux manières radicalement opposées de voir le monde et la religion.

Il nous le fait savoir, Barbet Schroeder est devenu bouddhiste.
C’est bien sûr son droit le plus strict, mais la religion est, quelle qu’elle soit, mauvaise conseillère.


 

Il est choqué qu’un dignitaire de la religion dite de l’amour universel tienne des propos aussi maléfiques. C’est se montrer bien naïf devant la realpolitik, d’autant qu’il semblerait que Wirathu soit soutenu, ou du moins entendu, par le gouvernement militaire depuis des années.


 

Sous prétexte de bouddhisme mal digéré, puisqu’il est difficile d’admettre qu’il y ait une religion au-dessus des autres, une "petite voix bouddhiste" (celle de Bulle Ogier) lit des paroles du Bouddha, qui parlent de l’amour pouvant vaincre la haine. Elles ne dépareraient pas les diaporamas exhibés toutes les vingt secondes sur FaceBook.

Á l’heure où le terrorisme islamiste s’implante partout, on peut trouver insuffisant de faire réciter en boucle le mantra "Vous n’aurez pas ma haine".

Le film semble avoir oublié que le Mal est universel et n’épargne personne, qu’il est la force qui meut le monde, et que l’amour, chrétien ou bouddhiste, n’a pas grand poids lorsqu’il devient intolérable.
Pouvions-nous vaincre le nazisme avec des fleurs et des chansons ?
Ce qui est le plus inquiétant se trouve à la toute fin du film, lorsqu’on mesure le poids idéologique des religions sur la marche des sociétés, en voyant ces foules fanatisées et uniformisées que tout oppose et opposera : les moines rasés en safran et les barbus calottés en blanc. Forces irréconciliables, dogmatiques, prêtes à en découdre jusqu’à vouloir finalement une Apocalypse.

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n° 381, été 2017

Le Vénérable W. Réal : Barbet Schroeder ; ph : Victoria Clay Mendoza ; mont : Nelly Quettier ; mu : Jorge Arriagada (France-Suisse, 2017, 107 mn). Documentaire.

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