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Filles d’Avril (les) (2017)
de Michel Franco
publié le mardi 1er août 2017

par Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle Un certain regard du Festival de Cannes 2017

Sortie le mercredi 2 août 2017


 


Au bord du Pacifique, une maison de filles. Deux sœurs, Clara, une aînée trentenaire raisonnable, et Valeria, une très jeune cadette, 17 ans donc pas sérieuse. La vie quotidienne, ras du plancher, s’écoule, chaleur, sueur, palmes. Des plans séquence sans tension : on coupe une tomate, une porte s’ouvre, quelqu’un sort, boit un coup, la coupeuse de tomates sort fumer une clope, la caméra panoramique puis vient cadrer un autre occupant juste sorti de la chambre qui boit un coup à son tour, etc. On s’ennuie ferme.

Heureusement, la petite se découvre enceinte, et, avec son amant falot, Mateo, elle décide de garder l’enfant, ce serait amusant, non ? Trois enfants pour Clara, c’est un peu beaucoup, celle-ci décide d’alerter leur mère, Avril, qui rapplique illico, forte de son expérience et de son furieux et irrépressible "instinct maternel".


 


 

C’est alors seulement que se déclenche l’histoire : l’accouchement et sa suite. Valeria est inconséquente, Mateo aussi, mais c’est un mec, il est pardonné. Le bébé est laissé à l’abandon.


 

Le personnage d’Avril va pouvoir s’épanouir sous les yeux incrédules des spectateurs. Monstrueux, et, sous l’apparence d’une fausse rationalité, totalement pulsionnel. Une sorte de symétrique de l’irresponsabilité de la jeune fille.
On assiste à un rapt d’enfant avec adoption arbitraire, et, dans la foulée, une captation de géniteur. Le film bascule alors dans la noirceur, d’autant plus forte que rien n’a changé dans la manière : tout reste feutré et "normal", légitime, et encadré par les deux familles du rejeton qui vagit en vain.


 

Un désir d’enfant à son stade pathologique compliqué d’un complexe de Phèdre avec consentement d’Hippolyte qui perdure de façon insupportable, et, à la fin, une construction polysémique qui s’effondre d’un coup, avec simplicité dès qu’advient une prise de conscience et que cessent les passivités alentour : toute la dernière demi-heure devient intéressante.


 

Au long des festivals de Cannes, Michel Franco s’affirme comme spécialiste des méandres douteux et des dérapages de la vie des familles. Et il plaît beaucoup. (1)
À la première vision de ce dernier film, à cause de sa manière, on a le sentiment qu’il pose un regard distant sur les réalités qu’il décrit froidement sans s’engager. Pas de gentil, pas de méchant, pas de jugement. Mais il s’agit, en fait, de "sujets de société" dans le vent médiatique, forcément soigneusement choisis : le harcèlement, l’euthanasie, ou le désir d’enfant.
Pour ce qui concerne Les Filles d’Avril, c’est un peu moins visible, et d’autant plus fort.
Si le film, malgré ses évidentes faiblesses de construction, a été sélectionné et si bien reçu, c’est qu’il correspond à un courant souterrain des sociétés occidentales (mais pas seulement, la Chine évolue aussi de son côté) parfaitement identifiable : faire des enfants, c’est redevenu à la mode.


 

Alors que la démographie galopante exponentielle terrestre est reconnue comme un des éléments majeurs de la catastrophe écologique qui vient, on se croit revenu à des époques anciennes d’après-guerre, dans les comportements des générations en âge de procréer : repeuplement national (ou ethnique), arrogance urbaine des voitures d’enfants, sacralisation de leurs hurlements, respect du "taux de fertilité" par femme et toute la panoplie. Les enfants comme armes de destruction massive dissimulées sous les gravats "famille-patrie" … et "travail", ma foi.

Cette tendance planétaire, plus ou moins consciente, le Mexicain Michel Franco en tire une fable caricaturalement excessive, avec une morale rapide mais orthodoxe. Irréprochable in fine.


 

Chronic, en 2015, était audacieux, et, enraciné dans un sujet fort, traversé de quelques fulgurantes trouvailles formelles et narratives.
Les Filles d’Avril, petit film un peu mal fichu dans son ensemble, peut pourtant faire accéder le réalisateur à la cour des grands. Michel Franco était prometteur, il ne l’est plus autant. Mais, saisi d’une véritable intuition "sociale", il a trouvé une veine porteuse.

Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Despues de Lucia, Prix Un certain regard 2012 ; Chronic, avec Tim Roth, en sélection officielle, Prix du scénario 2015 ; Les Filles d’Avril, un "petit Franco", Prix du Jury Un certain regard 2017.


Les Filles d’avril (Las hijas de Abril). Réal, sc : Michel Franco ; ph : Yves Cape ; mont : M.F. & Jorge Weisz. Int : Emma Suárez, Ana Valeria Becerril, Enrique Arrizon, Joanna Larequi, Hernán Mendoza (Mexique, 2017, 103 mn).



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