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Pierre, Sylvie (livre)
Jean-Christophe Averty, une biographie (2017)
publié le samedi 2 décembre 2017

par Nicolas Villodre
Jeune Cinéma en ligne directe

Sylvie Pierre, Jean-Christophe Averty, une biographie, Paris, INA, 2017.


 


Après la disparition de Jean-Christophe Averty (1928-2017), pionnier en France de l’image électronique, des hommages lui ont été rendus (1) et Sylvie Pierre vient de publier sa biographie. (2) Celle-ci a pu obtenir différents entretiens avec le réalisateur et a tiré profit de ceux recueillis en 1976 par Jacques Siclier ou, plus récemment, par Noël Herpe, dans des émissions de radio et de l’analyse de (l’essentiel de) son œuvre par Anne-Marie Duguet pour la remarquable exposition de 1991 à l’Espace Electra.

Nous apprenons donc nombre de détails sur le créateur : sur son enfance parnassienne, sur sa carrière, ainsi que sur sa dernière et mélancolique période dans sa maison suresnoise débordante d’archives. Ce fils de "hussards noirs de la République" entre à la Radiotélévision française en 1952, après ses études à l’Idhec et ne devient réalisateur qu’en 1956, étant plus proche de l’esprit surréaliste que de celui des tenants du théâtre "engagé" ou du néoréalisme des productions "dramatiques" de l’école des Buttes-Chaumont. Il est, comme Jean Cocteau (qui le dépannera en lui donnant un petit boulot à la fin de ses études), amateur de jazz, de cirque et de music-hall, et aussi lecteur compulsif de bandes dessinées, membre du club Mickey de La Plaine-sur-Mer (inauguré dès l’avant-guerre).
Il est attaché aux vieilles choses, aux cartes postales anciennes et aux journaux du temps passé, et féru de poésie : Lautréamont, Jarry, Apollinaire. Cinéphile, fan en particulier de Méliès, Musidora, ou Busby Berkeley, il fréquente les réunions de André Breton au café de la place Blanche, et trouvera son style télévisuel en usant du collage, de plans contrastés au maximum, composés d’aplats saturés de hiéroglyphes, de rayures "Op" et de spirales hypnotiques, cinétiques, duchampiennes. Le tout sous une couche d’humour noir de type "bête et méchant", teinté du comique potache d’un Alfred Jarry, un peu "fumiste" sur les bords - voire "zutiste", "hydropathe", "hirsute", "j’menfoutiste".

Michel Guy, fonctionnaire au ministère du Tourisme, finance (on le sait peu) la première œuvre du jeune Jean-Christophe Averty, un court métrage intitulé Vacances à la mer (1952). J.-C. A. enchaîne avec un stage d’assistant-réalisateur à la télévision. Il réalise dès 1953 quelques sujets pour le magazine hebdomadaire enfantin, Martin et Martine, (auquel participe Maurice Garrel qui fait la voix... du chien Tabac). Sa titularisation comme réalisateur, en 1956, coïncide avec "l’installation de nouveaux studios de vidéo-fixe aux Buttes-Chaumont". Il élabore son style tandis que se met en place le code de la dramatique télé, avec ses "règles d’or édictées en 1963, dont la référence est le cinéma" : échelle des plans, récit, conditions de tournage. Il introduit le jazz à la télévision, d’abord sous forme d’enregistrements dans des clubs parisiens, puis sous celle de retransmissions de concerts en plein air depuis la Côte d’Azur.

En 1962 (et non en 1960, comme cela a été parfois dit), Jean-Christophe Averty, en compagnie de Pierre Tchernia, consacre un reportage aux studios Walt Disney (à Burbank), fait la connaissance du célèbre homme d’affaires et du vrai créateur de Mickey, Ub Iwerks. L’année suivante, la jeune productrice Michèle Arnaud, ex-chanteuse Rive gauche, l’engage pour son émission Histoire de sourire, sa première véritable occasion d’innover formellement. Il conçoit la mise en scène de télévision comme une "mise en page" de journal, comme un travail graphique.

Le show de Line Renaud, Bonsoir mes souvenirs est pour lui l’occasion d’exploiter les images contrastées, de jouer avec le montage rythmique, d’illustrer les chansons par des symboles, des danses de signes et de chiffres composés par Dirk Sanders (danseur qui succède à Barbara Pierce et à Jean Guélis avant de devenir par la suite réalisateur). Il dispose les danseurs verticalement, comme sur des étagères - on pense au ballet de Elvis Presley et de ses codétenus dans Jailhouse Rock (1957). Il transforme le studio 13 qui lui est attribué (rue des Alouettes) en cyclo bleu pour les surimpressions ou incrustations lui permettant d’économiser le décor, de "travailler à même l’écran" (pour citer Gilles Delavaud). "C’est là que j’ai appris à mettre ma pensée en image", dit-il.

J.C.A. se livre, d’abord en noir et blanc, puis en couleur, à des déformations, anamorphoses, colorations, effets de feedback et d’images doubles (qui nient la perspective, brisent le contact, rompent avec la transparence de la mise en scène). "Un trucage doit être vu", précise-t-il. La première des Raisins verts, en 1963, ne passe pas inaperçue. La suivante, avec le poupon mouliné, non plus. D’après Sylvie Pierre, Chenz (aka Jacques Chenard) est l’ingénieur de la vision des premières émissions à trucs et Max Debrenne prend sa suite en 1965.


 

Ubu roi (1965) dont J.C. Averty rêve depuis qu’il dénicha le texte chez un bouquiniste, en 1944, devient réalité télévisuelle ou, pour reprendre ses termes, "stylisation et abstraction, gommage de la personnalité de l’acteur", réduction de celui-ci à un signe.
Il ne considère pas le public comme une cible à sonder : "On ne sonde que les malades", ironise-t-il. Sa série d’émissions de variétés à base de sketches de chansonniers et de tubes yéyé chantés en playback, Douches écossaises, au milieu des années soixante, le réconcilie avec le grand public et lui donne l’occasion de prouver son talent.
Le portrait de Salvador Dali commandé par Seven Arts, est moins intéressant plastiquement, quoiqu’il entrelarde les séquences d’effets psychédéliques (c’est la période des chemises à fleurs et de Antoine qui y figure en passant) et montre le maître de Cadaquès jouant aux échecs avec son compère Marcel Duchamp (tous deux, fils de notaires, sont demeurés amis malgré l’exclusion de Dali du groupe surréaliste). Il lui vaut ce commentaire du peintre qui parle de lui à la troisième personne : "C’est le plus mauvais film que l’on ait fait sur Dali. Il n’a qu’un mérite : c’est le seul."

À l’arrivée de la couleur dont on célèbre "les vertus réalistes", comme le note Anne-Marie Duguet dans sa monographie-catalogue d’exposition (3), Jean-Christophe Averty prend le contre-pied, l’utilisant pour "déréaliser ses images et fortifier la vision poétique."
Son ancien assistant Raoul Sangla, chantre de la télévision du réel, l’un des rares à filmer avec classe, en plan-séquence, bien souvent in situ, au temps de l’ORTF et, comme lui, quelques années après, lui sert de repoussoir.

En 1976, il déclare à Jacques Siclier  : "Ce que je fais est, peut-être, trop concerté. Les émissions de Raoul Sangla étaient peut-être plus chaleureuses que les miennes. Du moins, il voulait le faire croire. Il était dans l’humain, comme dirait Claude Santelli  ! Moi, je pense qu’un metteur en scène doit concerter ses coups, sinon, ce n’est pas la peine qu’il y ait mise en scène".

Nicolas Villodre
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Hommage de l’INA, soirée animée par Olivier Barrot, le 14 novembre 2017, au cinéma Saint-Germain ; Hommage du Centre Pompidou, journée animée par Anne-Marie Duguet, le 2 décembre 2017.

2. En vue d’une prochaine édition, nous signalons quelques coquilles dues sans doute au bref deadline fixé pour la sortie du livre - et à la disparition du métier de correcteur.
Quelques fautes d’orthographe : Méliès écrit avec un accent en moins à son nom, en quatrième de couverture ; Big Bill Broonzy, avec l’omission d’un "o" à son patronyme ; le "e" final perdu à celui du musicien Ernest Léardée ; l’animateur Dave Fleischer écrit sans son "c " ; Marcel Amont sans son "t", Brunius changé en "Brunin" ; Rossellini indexé deux fois, dont une avec un seul "l" ; les Irlandais chers à Swift sont "crevants de faim" (avec un "s" contestable) ; le Surréalisme est, de même, qualifié d’Automastisme ; Verlaine est prénommé... Émile (comme son collègue de bureau Verhaeren).
Deux ou trois distractions : l’illustrateur Grandville change de prénom au cours du récit ; l’Emmy Award reçu par le réalisateur en 1964 pour Les Raisins verts n’a pas pu l’être aussi pour l’émission sur Dali mise en boîte deux ans plus tard.
Et des faits historiques, heureusement, pas bien graves : Sidney Bechet est classé parmi les musiciens américains "de passage à Paris" alors qu’il s’y était depuis des années fixé et s’y fera enterrer ; les émissions de jazz sont rangées parmi les véritables "laboratoires d’essai" bien qu’elles soient à peu près les seules d’Averty sans trucage ni effet de style ; Billy Arnold s’est produit dans la salle des Agriculteurs (et non des "agriculteurs" avec un "a" minuscule) ; la monographie de Duguet date de 1991 et non de 1989 ; l’introductrice du jazz en France (dont il faut deviner le nom, Gaby Deslys,) n’est pas morte dans le 14e mais dans le 16e arrondissement ; ni Quirouar ni Kirouar n’existent pour le moment, l’auteure voulant probablement parler de Quirouard et de Kirouac ; Averty n’a pas pu assister au tournage de La Belle et la Bête en 1949, le film étant sorti trois ans auparavant...

3. Anne-Marie Duguet a été commissaire de l’exposition Jean-Christophe Averty-Collages, découpages (Espace-Electra, Paris, 1991).
Une monographie a été éditée à cette occasion aux Éditions Dis voir.

4. "Entretien avec Raoul Sangla (1930-2021)", Jeune Cinéma n° 402-403, octobre 2020.


Sylvie Pierre, Jean-Christophe Averty, une biographie, Paris, INA, coll. Médias et humanités, 2017, 342 p.



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