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Ronde (la) (1950)
de Max Ophuls
publié le mercredi 6 décembre 2017

par Philippe Roger
Jeune Cinéma n° 384, décembre 2017

Sélection officielle de la Mostra de Venise 1950 (Prix du meilleur scénario).

Sorties les mercredis 27 septembre 1950 et 6 décembre 2017


 


La Ronde marque, en 1950, l’apparition de la fabuleuse dernière manière de Max Ophuls.
Son retour en Europe, après un dur exil américain, aboutit à ce miracle d’un film parfait s’accomplissant sans effort apparent ; les trois œuvres suivantes demeureront à ce niveau d’absolu où le cinéma découvre sa vérité ultime, en gagnant même en chair : à comparer à la pâte picturale du Plaisir de 1952, La Ronde apparaît comme une pointe sèche, presque abstraite. Sous l’apparence d’un divertissement, Ophuls livre une réflexion morale, philosophique, sur le désir érotique vécu comme lutte à mort avec le Temps. Ce chef-d’œuvre vient d’être restauré par Hiventy selon les normes les plus avancées, et Carlotta le sort en salles. On aurait applaudi l’événement, n’étaient de sérieuses réserves à faire.


 

La première mondiale eut lieu le 16 juin 1950 au Palais de Chaillot, devant le Tout-Paris politique et mondain ; cette version initiale, qui durait alors près de cent-dix minutes, fit scandale.
Devant l’accueil hostile des officiels - s’attendant à un badinage de bon ton, ils n’ont pas supporté une danse macabre de plus en plus grinçante (le poète fat), antimilitariste de surcroît (le soldat mufle, surtout le comte blasé) -, Ophuls se résout à de larges coupes (près d’une vingtaine de minutes) et même au doublage inopportun de ses deux comédiens étrangers, pour la présentation à la Mostra de Venise, le 27 août 1950. C’est cette version écourtée et affadie qui sortira avec succès sur les écrans parisiens le 27 septembre 1950. Quelle version de La Ronde fallait-il restaurer ? Celle conforme aux vœux du cinéaste, de la première de Chaillot ou celle, mutilée, de Venise ?


 

Poser la question est déjà y répondre : la version longue est la seule à rendre compte du projet ophulsien dans sa réelle ampleur. Mais c’est sans compter avec le droit moral français, qui donne en la circonstance au fils nonagénaire du cinéaste un pouvoir exorbitant. Faut-il remettre en cause les termes de ce droit, quand on voit les excès auxquels il peut conduire en certains cas ? Au mépris de la vérité historique, Marcel Ophuls qualifie la version longue de prémontage (!) et s’oppose à sa diffusion. D’où la restauration aujourd’hui de la problématique version courte. En 2008, le prestigieux éditeur DVD américain Criterion avait déjà dû renoncer, pour éviter tout démêlé avec le fils Ophuls, à intégrer parmi les compléments de son édition de la version courte de La Ronde un admirable documentaire de Robert Fischer (Full Circle) qui inventorie les coupes et démontre la supériorité de la version complète sur la version amputée. Il serait impératif de restaurer la version longue (elle subsiste) avant qu’elle ne se détériore.


 

Seul point positif de la restauration Hiventy de 2017 : elle rétablit le commentaire parlé du meneur de jeu en début de sketch du poète et de la grisette (dix secondes supplémentaires qu’omettait la précédente édition Gaumont de 2009), mais elle reconduit l’absurde incohérence de juxtaposer le grand plan séquence introductif, pourvu de la voix germanique de Anton Walbrook, avec le reste du film dans la version où il est doublé sans accent ! Le détail qui tue : soucieux de nettoyer la bande son, le nouveau restaurateur a gommé un doux sifflement au moment où le meneur de jeu conduit la femme de chambre à sa nouvelle place ; le hic est que ce petit bruit était un témoignage ô combien précieux, puisqu’il s’agit du discret coup de sifflet de Max Ophuls donnant à l’orchestre filmé le signal de départ, pour accompagner la chanson du meneur de jeu. Restaurer n’est pas effacer les traces de la mise en œuvre.

Philippe Roger
Jeune Cinéma n° 384, décembre 2017

La Ronde. Réal : Max Ophuls ; sc : Jacques Natanson, M.O., d’après Arthur Schnitzler ; ph : Christian Matras ; mont : Léonide Azar ; mu : Oscar Strauss. Int : Anton Walbrook, Simone Signoret, Serge Reggiani, Daniel Gélin, Danielle Darrieux, Fernand Gravey, Odette Joyeux, Jean-Louis Barrault, Isa Miranda, Gérard Philipe (France, 1950, 89 mn).

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