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Wang Bing (né en 1967)
Entretien avec Julien Camy (2005)
publié le jeudi 15 décembre 2005

Traduction par Li Hong Kong
Confrontations de Perpignan, avril 2005
Jeune Cinéma n°300-301, décembre 2005

Rencontre avec Wang Bing (né en 1967)
à propos de À l’ouest des rails (2003)


La Chine était le sujet des dernières Confrontations de Perpignan au mois d’avril 2005.

Une Chine dont ce festival de cinéma à vocation historique a permis de mieux saisir l’essence. Depuis les origines avec La Rose sauvage ou encore La Divine jusqu’aux dernières productions comme Breaking News, Platform, toute une histoire, une population, des cultures…

Ce fut aussi l’occasion de rencontrer le réalisateur Wang Bing, venu présenter son documentaire À l’ouest des rails, sorti dans les salles en 2004 et en DVD en 2005. Une œuvre forte et intime de neuf heures sur la désagrégation du complexe industriel de Tie Xy à Shenyang, dans la Chine profonde (cf. Jeune Cinéma n°290, été 2004).

Réalisé avec une simple caméra DV, ce film se pose en symbole d’une nouvelle ère pour la Chine et, par extrapolation, pour le monde entier. Le cinéaste y devient un véritable ouvrier, travaillant à la mise à nu d’un drame économique.
Le film est découpé en trois parties Rouille, Vestiges et Rails.
Dans cette durée, les images prennent une profondeur et une puissance qui exaltent tous les acteurs de cette désindustrialisation, dans une fascination dramatique et une perspective historique majeure.
Un travail monumental pour un film qui apparaît comme le point presque final d’une époque.

Julien Camy

Jeune Cinéma : À l’ouest des rails, ce documentaire fleuve, est une somme de travail immense. Comment êtes-vous arrivé à ce projet ?

Wang Bing : Je faisais mes études à l’Institut des Beaux-Arts et cet institut se trouve près de ce complexe industriel. C’est pour ça que je le connais assez bien. Je voulais faire quelque chose au sujet des ouvriers et surtout de cette couche d’ouvriers. La Chine se trouvait dans une période de transition économique et ce lieu est assez représentatif de cette période.

JC : Le tournage a duré de 1999 à 2001. Un long tournage. Comment vous êtes vous organisé ?

W.B. : D’abord pour la partie usine. Comme il y a beaucoup d’unité de production, fonderie, etc., et comme chaque unité travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre, j’ai choisi une unité de 8 h à 16 h, puis une autre de 16 h à minuit. Et ainsi de suite de 24 h à 8 h, et, de cette façon, j’ai pu filmer chaque unité dans l’ensemble de son travail. Après, j’ai décalé les horaires. Parfois je tournais en continu pendant plusieurs heures, puis je filmais la nuit, les rails et les trains. Je prenais quelques jours pour filmer dans les quartiers résidentiels et puis je revenais à l’usine.

JC : Votre vision de cette transition économique a dû évoluer au cours du tournage ?

W.B.  : J’avais quelques idées avant le tournage. En fait, je ne connaissais pas le sujet si bien que ça. Le tournage ne s’est pas du tout déroulé selon mes idées. J’ai tourné suivant le développement des événements et des personnages. Bien sûr, il y a eu beaucoup de changement au long du tournage. Il y avait beaucoup de choses que je ne comprenais pas au début et que je comprenais bien à la fin. Il s’est passé beaucoup de choses durant le tournage. Beaucoup de choses qui ne sont pas du tout acceptables pour les ouvriers là-bas. Mais moi, je ne voulais pas montrer ce film du point de vue des ouvriers. J’ai essayé de garder un point de vue plus ouvert. Pour résumer, je crois que je suis devenu plus lucide envers la vie.

JC : Dans le film, vous semblez dépasser le simple statut de documentariste et devenir un vrai ouvrier. Comment avez-vous créé cette intimité particulière ?

W.B. : Pour la partie des rails et les usines, je n’ai pas fait beaucoup de repérages ou de préparation. Dès que je suis rentré dans l’usine, j’ai commencé à filmer. Bien sûr, pendant le tournage, j’ai fait très attention à garder une communication naturelle avec les ouvriers. Mais je n’ai rien fait de particulier. Pour la partie du quartier résidentiel, je n’ai pas pu tourner tout de suite. Pendant deux semaines, je me suis baladé dans les rues. Enfin, j’ai rencontré ce groupe d’adolescents et finalement j’ai pu commencer avec eux et tout a continué. Mais pour les deux parties Rouille et Rails, je n’ai eu aucun problème.

JC : Avez-vous eu des problèmes d’autorisation de tournage ?

W.B. : Ce n’était pas du tout nécessaire d’obtenir une autorisation de tournage. J’ai pris ma caméra et j’ai tourné. J’ai évidemment fait attention de ne gêner personne. Dans la partie usine, c’était plutôt simple, les gens n’ont pas du tout résisté. Ils ont tous été très coopératifs. Dans la partie du quartier résidentiel, j’ai rencontré un peu plus de difficulté avec des gens qui ne voulaient pas être filmés, puis changeaient plusieurs fois d’avis au cours du tournage.

JC : Au milieu de ces centaines heures de rushes, quels ont été les critères du montage ?

W.B. : Je n’ai pas commencé le montage tout de suite. À la fin de 2001, il y a des amis qui m’ont dit connaître des gens du Festival de Berlin qui étaient venus en Chine pour sélectionner des films. Il pouvait me les présenter. J’ai alors préparé, en une soirée, une sorte d’introduction de ce film. Elle durait 40 minutes. Le lendemain, les gens de la Berlinale l’ont vue et ont décidé de le prendre. C’était en novembre 2001. J’avais donc deux mois maximum pour monter le film. Je n’avais pas le temps de regarder tous les rushes. J’ai monté à la fois selon les concepts que j’avais au début et le sentiment que j’avais ressenti durant le tournage. De mémoire, j’ai retrouvé directement les images. C’était la première version, de cinq heures. Je n’avais pas eu beaucoup de temps. Après ce festival, je voulais quand même remonter une autre version. J’ai alors demandé de l’aide au Festival d’Amsterdam et j’ai obtenu le Robert Weiss Funds. Celui-ci m’a permis d’acheter des ordinateurs et de me remettre ainsi au montage. En prenant cette version de cinq heures comme base, j’ai fait encore beaucoup de changements et d’amélioration. J’ai alors décidé de diviser le film en trois parties. Je ne pouvais pas mettre tout ça en cinq heures. Chaque partie ne durait pas très longtemps, mais de cette façon j’ai pu tout mettre. Jusqu’à maintenant, je n’ai seulement regardé mes rushes qu’une fois en entier.

JC : Pourquoi avoir alors divisé votre film en trois parties ?

W.B. : Dans ce complexe industriel, les usines sont des lieux très importants où maintenant les gens vivent plus qu’ils ne produisent. L’autre lieu, le quartier résidentiel, me permettait de raconter des histoires dans les familles. Enfin, un dernier aspect, très important, c’est le chemin de fer. Celui-ci traverse toute la région et relie ces différents lieux dans un ensemble. Au début, je voulais organiser le film autour de ces trois aspects et trouver un lien entre ces trois parties au travers des personnages. Mais vers la fin, je n’ai pas trouvé ce liant, car les personnages n’avaient rien à voir entre eux. Entre les ouvriers et ceux des quartiers résidentiels. J’ai alors décidé de faire un film mais de le diviser en trois parties.

JC : Comment avez-vous perçu le très bon accueil de votre film à l’étranger ?

W.B. : Le film a touché beaucoup de gens parce que les usines ferment, là-bas comme ici. Et ensuite, il raconte la vie avec beaucoup de détails concrets. Je me suis intéressé à la famille, aux enfants en prenant soin des détails. Quand on montre les choses ainsi, on peut mieux comprendre, mieux connaître. Cela permet d’avoir une communication directe et de toucher les spectateurs. Cependant, ce déclin des ouvriers s’est passé plus tôt en Europe qu’en Chine. Quand j’ai tourné ce film, je n’ai pas pensé aux problèmes en Europe. C’est la Chine qui m’intéresse. Elle se trouve dans une période de transition, passant d’une économie planifiée à une économie prétendument libérale. Les usines ferment les unes après les autres. Comme en Europe d’ailleurs. Néanmoins, le mode de vie de ces ouvriers en Chine est très différent, car ils vivaient jusqu’à présent dans une économie planifiée avec son mode de fonctionnement propre. En plus d’un changement de travail, ils doivent maintenant changer leur mode de vie. Cette spécificité est très différente des autres pays.

JC : Vous avez déjà un prochain projet ?

W.B. : C’est un projet de fiction, d’après une histoire qui s’est déroulée, il y a quelques dizaines d’années. Elle se passe dans le désert de Gobi. Un groupe de jeunes gens va cultiver cette terre hostile en espérant, à travers le travail manuel, atteindre une société idéale

Propos recueillis par Julien Camy
et traduits par Li Hong Kong

Confrontations de Perpignan, avril 2005
Jeune Cinéma n°300-301, décembre 2005

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