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Nuit a dévoré le monde (la) (2017)
de Dominique Rocher
publié le mercredi 7 mars 2018

par Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 7 mars 2018


 


"Demain est un autre jour" disait joyeusement Scarlett. Elle était jeune et belle, la guerre était terminée, elle possédait sa terre, et elle était habituée à obtenir ce qu’elle voulait. L’avenir et le monde lui appartenaient.

Mais dans les villes tentaculaires de grandes solitude, survit une autre race d’humains, qui fuit le grand air et la lumière, la foule, la rue.
Certains sont identifiés : les hikikomori de Tokyo, les gamers de Amsterdam, les geek narcissiques et autistiques de L.A. ou les Mister Robot de NYC.


 

D’autres - les plus nombreux, nous-mêmes - sont neurasthéniques, rongés par l’angoisse qui fermente, oui, demain est un autre jour, et il sera pire. Ceux-là s’endorment d’autant plus difficilement que leur réveil ne peut se faire que dans la terreur.

Sam, vivant à Paris où les immeubles haussmanniens sont de vrais cocons, après avoir échappé à tout et même au chagrin d’amour, pensait qu’il allait crever tranquillement. Au lendemain d’une fête toujours aussi habituelle qu’incongrue, il aurait dû se réveiller avec une gueule de bois traditionnelle, pire mais connue.


 


 

Mais voilà qu’il ouvre les yeux dans un certain silence, au milieu des traces d’un massacre. Les "amis" d’hier soir ont tous disparu. Et, tout en bas, dans la rue, errent des silhouettes de créatures douteuses, voraces, "infectées".
Il n’est pas vraiment surpris, à dire vrai, il les reconnaît tout de suite, les zombies, depuis le temps qu’il connaît leurs mœurs et leurs maladies grâce au cinéma. Ce qui est dur, c’est cette nouvelle solitude qui apparaît, la vraie de vraie, helplessness, nouveau monde. Quelque chose est arrivé : l’apparition d’une fistule entre l’écran et le réel, et cela lui est arrivé à lui.


 


 

Rien à voir avec la folie, son "ça" a dû gicler, traverser la peau, ce qu’il contenait - cette douleur existentielle -, c’est sorti et ça l’assiège désormais. Voici les vraies ténèbres.


 

S’il veut survivre, il va falloir se barricader, mais aussi s’occuper du ravitaillement, donc s’armer. Et, avant de devenir Robinson, d’abord - comme dans les films - vérifier qu’il est bien seul dans ce Paris post-apocalyptique.


 


 


 

Il est loin le temps où on était épaté par les zombies.
Il y avait eu le Vaudou de Jacques Tourneur (1941) et puis George Romero (1), qu’on était obligé de respecter et à qui on passait ses faiblesses. Mais l’interminable série Walking Dead (2), ses facéties répétitives et ses effets spéciaux indigestifs, c’était quand même à mourir d’ennui. Les jours de bonne volonté, face au succès, on se disait qu’on était vieux et blasé, alors on essayait à nouveau, courageusement, et on retombait dans le marigot. Un jour, il y en eut un, un peu différent, un peu plus fin : Zombie Island de Marteinn Ibsen (2014), surprenant, normal puisque c’était un islandais, pas suffisant.


 


 

Alors quand survient un premier film français, de zombies sans presqu’aucun zombie, quand un film de huis-clos (3), truffé d’aventures et de détails discrets et lumineux, avec des acteurs fascinants, devient à ce point magnifiquement métaphysique, on se remet à y croire.
Aux zombies, et au cinéma français.

Sol O’Brien
Jeune cinéma en ligne directe

1. Cf. Romero, George A. (1940-2017). La tétralogie des zombies

2. Walking Dead de Frank Darabont & Robert Kirkman (depuis 2010).

3. On pense un moment au Locataire de Roman Polanski (1976), mais on s’en détache assez vite : le fantastique kafkaïen du siècle dernier n’a plus rien à voir avec l’acopalix (sic) du 21e siècle.

La nuit a dévoré le monde. Réal : Dominique Rocher ; sc : D.R., Guillaume Lemans, Jérémie Guez d’après le roman de Pit Agarmen (alias Martin Page) ; ph : Jordane Chouzenoux ; mont : Isabelle Manquillet ; mu : David Gubitsch. Int : Anders Danielsen Lie, Golshifteh Farahani, Denis Lavant, Sigrid Bouaziz (France, 2017, 110 mn).



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