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Mademoiselle Paradis (2017)
de Barbara Albert
publié le mercredi 4 avril 2018

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 4 avril 2018


 


De Vienne, nous arrive une nouvelle leçon de piano et… de cruauté, professée par Barbara Albert. Laquelle nous signale dès le générique amorçant le récit que celui-ci est tiré "de faits réels".

Il s’agit d’une cause célèbre remontant au temps de l’impératrice Marie-Thérèse, ayant pour protagonistes Maria-Theresia Paradis, une jeune pianiste aveugle depuis l’âge de 4 ans et le médecin Franz Anton Mesmer, le fameux magnétiseur.


 


 

Cette histoire fut racontée par les gazettes de l’époque, ainsi que par Stefan Zweig dans sa trilogie La Guérison par l’esprit (1930), qui réhabilita l’hypnotiseur, alors traité de charlatan, en en faisant un ancêtre de la psychothérapie moderne. La réalisatrice a, quant à elle, adapté le roman de Alissa Walser, Au commencement la nuit était musique (2010), qui se focalise sur la jeune Maria-Theresia - d’où le titre du film en français.

L’héroïne a 18 ans. Elle est boulotte, pataude et semble incapable de contrôler ses mimiques lorsqu’elle est au piano. Elle balance sa tête lourdement emperruquée d’avant en arrière. Sa mère lui sert de guide et de garde du corps, son père de manager.


 

Prodige musical, elle perçoit une pension de l’impératrice. Son auditoire, constitué par l’aristocratie viennoise, paraît plus attiré par le spectacle insolite qu’elle offre que par ses qualités purement pianistiques. On ne va pas pour l’écouter jouer mais pour découvrir un phénomène de foire. Ces scènes rappellent L’Énigme de Kaspar Hauser (1974) de Werner Herzog.

Après avoir tout essayé pour faire recouvrer la vue à leur fille, ses parents recourent à la médecine parallèle et s’adressent à Mesmer que l’on découvre, entouré de patients, dans un palais princier changé en clinique privée - le thème de l’ascension sociale étant symbolisé par le mariage de raison du magnétiseur avec une riche veuve et par la carrière de Mlle Paradis qui préoccupe ses parents.

En lui imposant les mains, en lui parlant, en l’écoutant aussi, en lui faisant faire des exercices, en l’accompagnant personnellement à l’épinette, le médecin obtient de rapides progrès.


 

La jeune fille commence à percevoir formes et couleurs, à identifier et à nommer les objets. Un spectacle chassant l’autre, les concerts sont suivis des présentations de la malade à un aréopage d’hommes de science.


 

Mesmer donne l’impression d’utiliser sa célèbre patiente pour promouvoir sa méthode. Les choses se gâtent, faute de quoi il n’y aurait pas de drame. La médecine officielle s’attaque à Mesmer. Les parents prennent ombrage de l’ascendant de celui-ci sur leur fille. Le jeu de la pianiste s’en ressent lui aussi, étrangement : ses doigts trébuchent sur les touches, la perception, paradoxalement, la distrait, la vue recouvrée la trouble au lieu de l’éclairer, la contraint au lieu de l’émanciper.

Le film aborde alors les notions de fortune, de fragilité des positions sociales, de traumatisme de l’enfance, du refoulement du conflit, du seuil séparant le succès de l’échec, de la relativité de la guérison, du confort du statut de malade, du bénéfice de la cécité face au réel… Autant de questions qui restent sans réponse.


 

La jeune actrice roumaine Maria-Viktoria Dravus, remarquée dans Baccalauréat (2016) de Cristian Mungiu, traduit admirablement tous ces possibles et sait garder au personnage tout son mystère.
Le sujet, cinématographique par excellence, est mis en scène avec tact et le spectacle en abyme avec des personnages en représentation permanente dans un teatrum mundi baroque ou rococo.
À l’exception d’une promenade dans le parc, l’action est en intérieur, cadrée serré, étouffée par la pénombre. La reconstitution historique est distanciée, dépeinte en mascarade, en trompe-l’œil, en faux-semblant. Elle a la morbidité d’un musée de figures de cire.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

Mademoiselle Paradis (Licht). Réal : Barbara Albert ; sc : Kathrin Resetarits d’après Alissa Walser ; ph : Christine A. Maier ; mont : Nikki Mossböck. Int : Maria-Victoria Dragus, Devid Striesow, Lukas Miko, Katja Kolm (Autriche-Allemagne, 2017, 97 mn).



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