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Mai 68, la belle ouvrage (1968-1998)
de Jean-Luc Magneron
publié le mardi 24 avril 2018

par Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection de la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 1969

Sortie le mercredi 25 avril 2018


 


Documentaire tourné sur le vif, Mai 68, la belle ouvrage (1) de Jean-Luc Magneron, (2) est un réquisitoire contre les violences policières qui ont marqué la Nuit des barricades (du 10 au 11 mai 1968) et se sont poursuivies au-delà. Le réel vient démentir les déclarations de de Gaulle (3) qui défendait son gouvernement "aux prises avec l’anarchie universitaire", accusant "les cortèges brise-tout d’étudiants et d’autres éléments qui lapidaient la police, allumaient des incendies partout".


 

Le film alterne les entretiens en plans fixes, cadre resserré, et les scènes d’émeutes diurnes et nocturnes : combats de rues (rue Gay-Lussac et boulevard Saint-Michel), accueil des blessés dans des centres de secours improvisés.


 


 

Un étudiant de l’université d’Assas (Bernard Grelon), organisateur d’une équipe de secours avec des infirmières de Cochin - après avoir constaté le peu d’efficacité de la Croix-Rouge - raconte les circonstances de son arrestation au commissariat du Panthéon. Ce qu’il a vu mais qu’il n’a pas subi. Une double haie de policiers matraquaient les étudiants qui arrivaient par vagues, s’acharnant à les cogner à terre, les filles écopant du même traitement, fouille au corps en prime.

Bernard Pons, étudiant en médecine, fait l’inventaire des blessures et décrit avec précision l’action des gaz lacrymogènes et des grenades au chlore sur les yeux, les bronches et les séquelles respiratoires. Des blessés témoignent, certains craignent d’y laisser un œil, d’autres, sur un lit d’hôpital, sont grièvement atteints.

Julien Besançon, (4) se livre en parfait Tartuffe à un exercice de style rhétorique sybillin. Prendre parti ? Ça relèverait du "manichéisme".


 


 

Journalistes et étudiants témoignent de leur transfert à l’hôpital Beaujon. Parqués des heures derrière des barbelés, blessés ou non, sans moyen de communiquer.
La plupart atteste que les forces de l’ordre agissent aveuglément : touristes étrangers et passants, quel que soit leur âge, sont frappés, emmenés dans les cars, où les coups pleuvent. À la question sur la présence de "blousons noirs" (traduisons "voyous ou pègre" selon le point de vue des dominants), les témoins affirment une solidarité générationnelle avec les jeunes qui ne sont pas étudiants.

Sur les seize entretiens, on n’en dénombre que deux avec des femmes, ce qui reflète bien l’époque, où la prise de parole ne leur était guère accordée.
Or, dès les manifestations de 1967 contre le plan Fouchet, les filles se sont impliquées en nombre. Ce que confirme un journaliste, riverain de la rue Gay-Lussac, qui a vu "des filles très mignonnes avec des chaussettes blanches" porter des pavés.


 


 

Une étudiante de l’École d’art Duperré (5), partie manifester avec ses professeurs, et son périple l’a entraînée des barricades à Beaujon.
Une jeune chirurgienne-dentiste relate avoir regardé longuement, boulevard Saint-Michel, des individus provoquer la police en dépit de la demande de dispersion d’une délégation de l’UNEF. Elle a pu les identifier à la manifestation gaulliste du 30 mai suivant avec leur drapeau tricolore, criant "À la Sorbonne !".

Dans ce film inédit (non distribué, et, de fait, censuré) présenté à la Quinzaine des réalisateurs 1969, la dimension sociale et politique est éludée, réduite à quelques mots d’ordre dans les séquences de manifestations de rue ou au stade Charléty.


 


 

Brut de décoffrage, le documentaire a valeur d’archives en donnant la parole à ces jeunes protagonistes surgis du passé, dont une minorité laisse entendre que la réponse à la violence d’État est la violence.


 

Après le mot Fin (sans générique), on s’interroge sur le rôle de l’institution policière dans ses diverses composantes (CRS, gendarmerie mobile, police nationale) et sur les conditions historiques d’émergence de la violence policière (6).

Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. En 1968, le titre original était Répression, note Sébastien Layerle in Caméras en lutte, en mai 68, Nouveau monde éditions, avril 2008. On lui emprunte aussi le générique, puisque Loïc Magneron n’a pas répondu à nos questions.

2. Mumbo Jumbo (1965) sélectionné à la Quizaine des réalisateurs (Cannes 1969) ; Vaudou (Entre vivants et morts, le sang) (1973) ; Les Crâneurs (1973) ; Une cité pas comme les autres (1975) ; Miracles aux Philippines (1977) ; Kung-Fu Wu-Su (1977).

3. Apparition télévisée du général en tête-à-tête avec Michel Droit, le 7 juin 1968.

4. Julien Besançon, journaliste d’Europe 1. De retour d’Afghanistan, où il suivait Georges Pompidou, il a couvert les événements de mai. Il sut en tirer parti en préfaçant Les murs ont la parole (Tchou, 1968).

5. L’École d’arts appliqués Duperré, créée en 1864, deviendra mixte en 1969. Son histoire est liée à celle de l’émancipation des femmes, grâce à Élisa Lemonnier qui fonda la Société pour l’enseignement professionnel des femmes.

6. Une grande partie des forces de l’ordre a servi sous les ordres du préfet de police Papon (1958-1967), dans "une certaine culture de la violence" selon Maurice Grimaud qui lui succéda (1967-1971). Sa lettre du 29 mai 1968 aux fonctionnaires de police les rappelle à leurs devoirs dans une démocratie. La nomination de Raymond Marcellin (1914-2004) au ministère de l’Intérieur le 31 mai 1968 sonne comme un désaveu de cette lettre, perçue par certains policiers comme une condamnation de leur comportement.

Mai 68, la belle ouvrage. Réal : Jean-Luc Magneron, image : Robert Lézian, son : Antoine Bonfanti, mont : Loïc Magneron, Éric Bortolotti. Version inédite et restaurée 16mm Wide distribution (France, 1968-1998, 117 mn).



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