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Quiet People (2014)
de Ognjen Svilicic
publié le mercredi 23 mai 2018

par Lucien Logette
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection de la Mostra de Venise 2014

Sortie le mercredi 23 mai 2018


 


Un jour à Zagreb, annonce le sous-titre français du film du cinéaste croate Ognjen Svilicic.
En réalité, rien n’indique qu’il se passe là et l’action s’étend sur au moins deux journées. Mais Quiet People ne joue pas sur l’exotisme local et pourrait se dérouler aussi bien à Zagreb qu’à Belgrade ou à Skopje, la Serbie et la Macédoine étant coproductrices. Et on peut imaginer que l’immeuble-dortoir particulièrement sinistre où vivent les protagonistes a ses équivalents partout, à Bucarest comme à Sevran.


 

Tout comme la violence qui fait irruption dans l’univers quotidien du couple de parents ordinaires (lui conduit les tramways, elle n’a pas d’activité précisée) attentifs au bien-être de leur fils de 17 ans - "Tu as bien dormi ? Prends ton jus de fruit ! Finis ta viande !" - et qui rentre au petit matin sérieusement amoché. On apprendra plus tard, par une vidéo mise sur Facebook, qu’il a voulu résister au racket d’un autre élève du lycée, qui l’a tabassé dans un parking.


 

La vie tranquille de ces cinquantenaires sans histoires ni tourments - on achète les légumes quans ils sont de saison, on enfile ses pantoufles en rentrant, on prépare le repas ensemble, le tout de façon totalement neutre, sans marques d’affection apparente, sinon une complicité sans phrases - va basculer.


 


 

L’hôpital, le commissariat : ils vont affronter l’altérité administrative ; le service n’est pas le bon, l’urgentiste fait le minimum, le policier les renvoie à l’antenne de quartier. Ce n’est pas le monde de Kafka, gouverné par une entité mystérieuse, simplement celui de praticiens débordés et de fonctionnaires sans états d’âme, qui font leur travail et rien de plus, une radio, une ordonnance, un formulaire. Sans brusquerie véritable ni empathie : c’est ainsi.


 

Ce n’est que lorsque l’adolescent, revenu à la maison, s’évanouit et est transporté de nouveau à l’hôpital qu’ils vont être pris au sérieux. Trop tard pour éviter le pire.
Devant ces événements brutaux qui les dépassent, rien ne transparaît que leur incompréhension et leur accablement. Même la mort du gamin est ressentie sans pathos, comme un fait parmi d’autres, avec ses contraintes d’organisation supplémentaires. Lorsque, plus tard, le père entre dans le lycée, on pense qu’il va se plaindre auprès du proviseur, pour boucler la boucle. En réalité, il est venu repérer le lycéen responsable, qu’il va suivre et frapper avec une sauvagerie identique à celle de la vidéo, première et unique réaction de violence qu’il s’autorisera.


 

L’épouse n’aura besoin de rien dire devant ses mains couvertes de sang : elle le soigne, l’emmène sur le balcon profiter de la douceur du crépuscule et lui propose de couper les oignons tandis qu’elle prépare les poivrons du repas du soir. That’s all.
Indifférence ? Impassibilité ? Plutôt incapacité à transmettre les émotions profondes, en restant dans l’objectivité des gestes et des faits.

La force de Svilicic - dont on ignore les quatre longs métrages précédents - est de faire transparaître les sentiments et le désarroi de ses personnages sans lourdeur ni insistance : un regard caméra, un mouvement anodin, un à bras-le-corps fugace suffisent à exprimer la détresse.


 

Montrer le moins pour traduire le maximum, tout est dans la manière. Ce n’est pas si simple d’y parvenir, avec des moyens aussi peu spectaculaires - quelques mouvements d’appareil, des cadrages serrés - et une durée aussi ramassée : 75 minutes.

Quiet People a mis quatre années pour apparaître sur nos écrans, ce serait dommage qu’il en disparaisse trop rapidement.

Lucien Logette
Jeune Cinéma en ligne directe

Quiet People (Takva su pravila). Réal, sc : Ognjen Svilicic ; ph : Crystel Fournier ; mont : Atanas Georgiev. Int : Emir Hadzihafizbegovic, Jasna Zalica, Hrvoje Vladisavljevic (Croatie-France-Serbie-Macédoine, 2014, 75 mn).



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