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Dwan, Allan (1885-1981)
Sur sept films d’Allan Dwan
publié le mercredi 10 septembre 2014

Au cœur de la transparence
par Patrick Saffar

Jeune Cinéma n°328, décembre 2009

(DVD Carlotta, 2009)

Carrière exceptionnellement prolifique que celle d’Allan Dwan (1885-1981), dont nous ne connaissons qu’une infime partie puisque, selon les dires de Peter Bogdanovich, les deux tiers de sa production muette auraient purement et simplement disparu.

Cet ingénieur de formation fit ses armes avec Griffith (sur Intolérance) et tourna plusieurs films avec Douglas Fairbanks (dont un Robin Hood) et Gloria Swanson.

S’agissant des films parlants (jusqu’aux années 50, qui vont nous retenir), le pire (The Gorilla, avec les Ritz Brothers) y côtoie le meilleur (Suez, et ses spectaculaires effets spéciaux).
Mais, là encore, une bonne partie des titres, dont des comédies tournées avec William Bendix, demeure mal connue en France.

Le coffret DVD que nous propose Carlotta en cette fin d’année regroupe sept des dix dernières œuvres que Dwan réalisa (entre 1954 et 1958) pour la RKO avec le producteur Benedict Bogeaus.

C’est un ensemble particulièrement homogène puisque, dans ces productions fauchées tournées rapidement, Dwan retrouve systématiquement de précieux collaborateurs, au premier rang desquels figurent le chef opérateur John Alton (qu’on se rappelle son apport sur les films d’Anthony Mann, très différent de la palette tour à tour diaprée ou étouffée qu’ici il déploie) et le décorateur Van Nest Polglase (qui travailla pour les musicals de la RKO mais aussi sur Citizen Kane).

Pour Tennesse’s Partner (Le mariage est pour demain), Dwan regrettait de n’avoir pu bénéficier d’un acteur comme John Wayne, qui aurait "rapporté plus d’argent", au lieu de John Payne, acteur solide mais de deuxième ordre, et qui réapparaît dans Silver Lode (Quatre étranges cavaliers) et Slightly Scarlett (Deux rouquines dans la bagarre).

Le cinéaste fut plus heureux avec ses comédiennes.
C’est Barbara Stanwyck qui interprète Escape to Burma (Les Rubis du prince birman) avec la même vigueur que Cattle Queen of Montana (La Reine du Montana), et Slightly Scarlett.
Et Tennessee’s Partner bénéficient de la présence flamboyante de Rhonda Fleming.

La diversité des genres (western, qu’on qualifierait d’intimiste, pour Tennesse’s Partner, aventures exotiques pour Pearl of the South Pacific (La Perle du Pacifique Sud), et Escape to Burma, policier - d’après James Cain - pour Slightly Scarlett…) ne parvient pas à perturber ce sentiment de familiarité qui s’instaure peu à peu entre les films et le spectateur.

On n’a guère de difficultés à repérer certains thèmes récurrents (surtout si l’on connaît les autres titres de la collaboration Dwan/Bogeaus) : le renoncement à l’argent (perles ou rubis) facteur de corruption, le Paradis perdu (un de ses films les plus réputés des années 40 s’appelait déjà Angel in Exile).

Mais ce n’est pas cela qui, en France, a retenu au premier chef une partie de la critique (de tendance "macmahonienne"), laquelle s’enthousiasma dans les années 60 pour cette série d’œuvres, comme si la modestie de leur "propos", et d’ailleurs celle de leur auteur, permettait d’autant mieux de valoriser la transparence et la beauté de leur mise en scène.

C’est ce que, en un sens, paraissent confirmer les propos de Dwan (dans les bonus du coffret, qui nous proposent les extraits audios de conversations qui eurent lieu en 1968 entre le réalisateur retraité et le débutant Peter Bogdanovich) lorsque celui-ci déclare : "Je n’aime pas monter un film, j’aime le tourner" ou encore "Le producteur produit, le réalisateur réalise."

Dans Escape to Burma, Robert Ryan, accusé d’avoir assassiné un prince birman pour lui dérober des rubis, se fait fouetter par deux sbires du Sabwa.
Révélé à partir du point de vue surplombant de ce dernier, le calvaire de Ryan se situe pourtant en dehors du champ, qui ne cadre que les deux hommes de main.
Survient alors Barbara Stanwyck, qui accourt pour sauver l’aventurier et qui, du même endroit que précédemment, découvre en même temps que nous le corps lacéré de l’homme injustement accusé. C’est simple, c’est discret, mais l’essentiel est là.

Énergique Cattle Queen of Montana, la même Barbara Stanwyck est vêtue en cow girl tout au long du film. Excepté pour une courte scène où, lors d’une pause dans l’action qui devrait lui permettre de tromper le villain, elle apparaît en robe rose. Les changements de tenues des deux rouquines font partie du plaisir intense que procure Slightly Scarlett.

Au cinéma, du moins à cette époque, le réel (l’apparence du réel) nous est donné ; il faut alors le retrouver comme apparition. En écrivant cela, je ne pense pas me situer parmi les tenants d’un cinéma "spiritualiste" : dans Pearl of the South Pacific, Virginia Mayo, qui endosse un double rôle de missionnaire/séductrice, débarque dans une île du Pacifique. Deux natifs y sont promis l’un à l’autre mais il faut d’abord briser le tabou déclaré par la tribu.
Vient le moment où le décret est levé et où l’on autorise les deux jeunes gens à se contempler : deux morceaux de tissu les séparent, pour mieux leur permettre, l’instant d’après, de se rapprocher ; et c’est le regard de la fille qui, grâce à cette petite "mise en scène", et par-delà le kitsch, peut illuminer le plan.

Chez Dwan, la mise en scène est transparente, le monde paraît s’exprimer par lui-même, mais, paradoxalement, les personnages et les situations sont opaques.

"Qui sait ce que les esprits veulent ?" La réplique, extraite d’Escape to Burma, pourrait servir de devise aux sept films.
Elle trouve son écho dans Pearl of the South Pacific, où (comme dans le Tigre/Tombeau de Fritz Lang), on interroge la divinité locale (le dieu Laka qui n’a "rien à dire").

Dans Passion (Tornade), (peut-être le plus faible des films proposés, en raison de l’absence d’une intrigue amoureuse soutenue), c’est le chant d’un oiseau qui est à interpréter (les époux y devinent le nombre d’enfants à naître) ; mais, face à la profusion des trilles, on est obligé de renoncer ("too much"). Une voix dans la nuit, des silhouettes sur la neige, de la fumée qui sort d’une maison : autant de signes à reconnaître.

Dans Silver Lode, superbe western qui semble filmé en temps réel, le protagoniste, harcelé par un certain MacCarthy, est-il aussi innocent que notre sympathie et la convention le voudraient ?
Entre vrai et faux télégrammes, le finale est un précipité de retournements de situations presque langiens (Beyond a Reasonable Doubt) qui, sans avoir l’air d’y toucher, laisse planer un léger malaise.
Dans Cattle Queen of Montana, Ronald Reagan agit pour le compte d’un trafiquant d’armes qui sème la discorde au sein de la tribu des Pieds-Noirs. Un simple geste du comédien nous révèlera sur le tard que c’est un agent de l’Armée.

A contrario, Slightly Scarlett se déroule quasi-intégralement dans une semi obscurité d’où émergent, dans l’appartement des deux filles, des espèces de totems phalliques presque trop évidents dans cette histoire de femmes désirantes jusqu’à la nymphomanie (pour le personnage d’Arlene Dahl).

Le cinéaste de la transparence serait-il destiné à faire "parler" une réalité muette ?
De fait, le monde d’Allan Dwan semble singulièrement (pour un cinéaste hollywoodien) dépourvu d’une transcendance un tant soit peu crédible.

Dans Passion, les prières dérisoires du padre le rangent objectivement du côté des possédants ; elles ne pourront rien contre le massacre à venir.
Le clocher qui, à la fin de Silver Lode, voit la chute de MacCarthy abattu par une balle, fait croire un instant à la possibilité d’un miracle (son adversaire n’était pas armé). Mais la réalité des faits est toute autre (je n’en dis pas plus) et les propos qu’à cet instant le héros persécuté tient sur l’attitude de ses concitoyens sont suffisamment clairs.

Les dieux de Pearl of the South Pacific sont de pacotille, sorte d’idéal pour les cinéphiles adeptes de la mise en scène "pure" et pourfendeurs du "démodé" Bergman.

Lourdes de paroles tues sont les parties de poker de Tennesse’s Partner qui, là encore, nous invitent à tout interpréter, gestes, regards, silences. Un mouvement de caméra descendant (à partir d’un lustre) pèse sur les joueurs. Jusqu’à ce que, à la suite d’un gunfight fulgurant, nous soit révélé le jeu de Tennesse, qui ne contenait rien qui lui eût permis de gagner contre son adversaire. "Nothing".
Rien que le bluff, et la beauté du geste.

Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°328, décembre 2009

Passion (Tornade). Réal : Allan Dwan ; sc : Howard Estabrook ; ph : John Alton ; mu : Louis Forbes. Int : Cornel Wilde, Yvonne De Carlo, Raymond Burr, Lon Chaney Jr, Tony Caruso (USA, 1954, 84 mn)

Silver Lode (Quatre étranges cavaliers). Réal : Allan Dwan ; ph : John Alton ; mu : Louis Forbes. Int : John Payne, Diane Duryea, Lizabeth Scott, Dolores Moran, Robert Warwick (USA, 1954, 81 mn)

Cattle Queen of Montana (La Reine de la prairie). Réal : Allan Dwan ; sc : Howard Estabrook ; ph : John Alton ; mu : Louis Forbes. Int : Barbara Stanwyck, Ronald Reagan, Gene Evans (USA, 1954, 88 mn)

Escape to Burma (Les Rubis du prince birman). Réal : Allan Dwan ; sc : Hobart Donavan ; ph : John Alton ; mu : Louis Forbes. Int : Barbara Stanwyck, Robert Ryan, David Farrar, Robert Warwick (USA, 1955, 87 mn)

Tennessee’s Partner (Le mariage est pour demain). Réal, sc : Allan Dwan ; ph : John Alton ; mu : Louis Forbes. Int : John Payne, Ronald Reagan, Rhonda Fleming, Tony Caruso (USA, 1955, 87 mn)

Pearl of the South Pacific (La Perle du Pacifique Sud). Réal : Allan Dwan ; sc : Jesse Jasky Jr ; ph : John Alton ; mu : Louis Forbes ; cost : Qwen Wakeling. Int : Virginia Mayo, Dennis Morgan, David Farrar (USA, 1956, 86 mn)

Slightly Scarlett (Deux rouquines dans la bagarre). Réal : Allan Dwan ; sc : Robert Blees (d’après James M. Cain) ; ph : John Alton ; mu : Louis Forbes ; cost : Arlene Dahl. Int : John Payne, Rhonda Fleming, Arlene Dahl, Kent Taylor (USA, 1956, 99 mn)

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