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Cicatrice intérieure (la) (1971)
de Philippe Garrel
publié le lundi 2 mai 2016

par Gérard Lionet
Jeune Cinéma n°63, mai-juin 1972
et
par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°361-362, automne 2014

Sorties les mercredis 2 février 1972 et 7 septembre 2015


 

Pour saluer son cinquantenaire, Jeune Cinéma a posé une question à ses collaborateurs : Quel film des cent dernières années aimeriez-vous sortir de l’ombre ?
Ce film fait partie des hidden gem que Jeune Cinéma avait déjà sélectionnés à leur sortie.


Dans son premier film, Marie pour mémoire (1967), Philippe Garrel montre des enfants blessés dans une société malade, une blessure est ouverte, un cri constant que rien ne vient apaiser. La sévérité de son style ne fait qu’accentuer cette blessure qui ne se refermera pas. Un couple enlacé en bordure d’une autoroute, au fond, une ligne de HLM hideux dans la grisaille d’une journée morne. La jeune femme ne cesse d’appeler son enfant : enfant qu’elle n’a pas été, qu’elle ne sera plus, et enfin, enfant qu’elle n’aura pas - personnages d’un monde sans vie.


 

Dans La Cicatrice intérieure, , cinq ans plus tard, le couple a quitté l’environnement où il évoluait dans Marie pour mémoire, mais nous le retrouvons avec sa solitude, cette blessure permanente - thème constant de tous les films du réalisateur. Une femme seule sur un rocher près d’un chemin. Du fond de l’écran, un homme arrive en regardant derrière lui. À la hauteur de la jeune femme, il la fait lever, la tient par le corps, il regarde toujours derrière lui. La caméra par un travelling latéral les accompagne, puis s’arrête : le couple disparaît dans un paysage grandiose.


 

Cette première séquence peut ne pas être la première. Le film est sans chronologie, sans lieu précis. Il est composé d’une vingtaine de séquences comme celle-ci. Ici, il y a utilisation du travelling latéral presque toujours, comme pour mieux nous faire entrer dans l’univers du réalisateur, et aussi, en voyageant avec ses personnages, tenter une communication avec eux. D’habitude, Philippe Garrel utilisait de longs plans fixes.


 

Le choix des paysages, le cadrage des acteurs sont remarquables. À chaque séquence, la solitude nous est montrée dans une nouveau lieu, d’une rare beauté - beauté qui est un support aux sentiments exprimés - comme pour adoucir cette solitude, cette détresse.


 

Souvent les acteurs sont placés à gauche de l’écran, ils regardent devant eux découvrant un espace. Peut-être que ces personnages, qui ne combattent pas mais subissent leur souffrance, ont, au fond d’eux-mêmes, une lueur d’espoir

Gérard Lionet
Jeune Cinéma n°63, mai-juin 1972

1. En 1972, Philippe Garrel a réalisé six longs métrages : Marie pour mémoire (1967), Le Révélateur (1968), La Concentration (1968), Le Lit de la vierge (1969), Anémone (1969), La Cicatrice intérieure (1971).



La Cicatrice intérieure, c’est le timbre de la voix de Nico, le désert blanc, la poussière de sable et la pierre noire des volcans. Immensité du monde, lieu originel.
Un couple qui marche dans le feu et la glace.


 

Un enfant marche derrière Nico, en robe de bure blanche, Philippe Garrel à ses côtés, dandy du Moyen-Âge moulé dans une peau de cuir brun, leurs pas sont les mêmes. Rien n’a lieu. Dans une nature sauvage et violente, on reconnaît le visage de l’artiste Daniel Pommereulle, celui de Pierre Clémenti, nu sur un cheval. Nico chante, sa voix est lancinante, rocailleuse, répétitive, elle marche et chante.


 

La Cicatrice intérieure se situe loin de la Nouvelle Vague. La forme libérée du genre, repose sur différentes séquences dont la durée est l’abstraction du temps. C’est un cinéma non narratif, non joué, aux présences figuratives. La perception solitaire des glaciers, des volcans et des déserts, ressemble aux natures extrêmes éloignées des hommes peintes par Caspar David Friedrich. C’est un cinéma figuratif au même titre que la peinture. C’est un poème, une élégie.


 

J’ai découvert en 1972, le film était présenté par Henri Langlois, à la Cinémathèque. Certaines images se sont ancrées dans ma mémoire, fortes, radicales et belles. Elles indiquaient la proximité rare et sensible du cinéma de Philippe Garrel avec les artistes, peut-être même avec ceux du Land Art attirés dans ces mêmes années, par l’immensité du désert. L’Américain Robert Smithson et son film Spiral Jetty (1970), l’Anglais Richard Long traçant de ses pieds Line Made by Walking (1967), Daniel Pommereulle foulant le sable jaune du Sahara, dans Vite (1968).


 

Ces images au même titre que celles de Philippe Garrel font partie de mes réminiscences de programmations anciennes, correspondances hasardeuses, désirs de lointains espaces, désirs d’un ailleurs cinématographique, désirs d’autres images.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°361-362, automne 2014


La Cicatrice intérieure. Réal, sc, mont : Philippe Garrel ; ph : Michel Fournier ; dial et mu : Nico. Int : Nico, Philippe Garrel, Ari Boulogne, Daniel Pommereulle, Pierre Clémenti, Jean-Pierre Kalfon (France, 1971, 90 mn).



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