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Une chante, l’autre pas (l’) (1977)
de Agnès Varda
publié le mercredi 4 juillet 2018

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°102, avril-mai 1977

Sorties les mercredis 9 mars 1977 et 4 juillet 2018


 


L’une chante, l’autre pas retrace l’itinéraire vers le bonheur de deux jeunes femmes. Suzanne est mince, longue, brune, tendue dans la joie comme dans la souffrance. Pauline est toute ronde, blonde, solaire, elle enfante ou avorte, couche ou dorlote un bébé, comme elle chante, sans effort, en toute simplicité.

Suzanne, à 22 ans, s’était retrouvée seule avec deux petits enfants après le suicide du père. Devenue femme autonome, mariée, travaillant au Planning familial, heureuse avec ses deux grands enfants, elle porte encore les traces du long combat silencieux qu’elle a mené pour tenir.
Pauline, elle, à 17 ans, savait déjà tenir tête à sa famille petite-bourgeoise, plaquer le lycée, se vouloir chanteuse. Son bonheur se trimballe en camion bariolé avec trois copines et elle chante sur et pour les autres femmes.


 

Le film est construit à partir des lettres que s’envoient les deux filles pour se raconter leur vie : un très fort sentiment les lie, quelque chose, comme dit Pauline à son ami, "comme l’amour sans les salades".

Le plaisir dispensé par le film, c’est l’évidence du bonheur conquis à partir d’une situation qui est proche de nous.
Le choix de Pauline, qui se veut fille-mère en toute fierté, c’est la face solaire de l’expérience tragique vécue dix ans avant par Suzanne, abandonnée avec ses deux enfants.
Les rapports généreux entre Suzanne et sa fille de 16 ans rappellent, inversés, les scènes chez Pauline lycéenne, quand son père dispensait sa pédagogie à coups de gifles. Familles, je ne vous hais donc plus, la femme n’est pas toujours le prolétaire de l’homme ni le mariage une prostitution.


 

En contrepoint de la libération des deux filles, Agnès Varda rappelle le procès de Bobigny et les luttes pour l’avortement libre, si bien que l’euphorie est liée au refus des solutions manichéennes. Le film dit oui à l’avortement libre et oui à la fierté d’être enceinte. Tant mieux si Suzanne trouve un homme à épouser et si Pauline renvoie le sien à son Iran bariolé.

Une seule hypothèse - et c’est cela qui peut être gênant quand même - reste exclue dans le paradis féministe selon Agnès Varda, c’est le bonheur des filles-pas-mères.
Celles-là sont des "filles sans", absentes de l’action comme des chansons, exclues des si belles métaphores qui présentent la femme enceinte comme femme-moisson, femme-fleuve, femme-eau qui coule. Les femmes auraient-elles conquis le statut d’être femmes sans avoir à vivre la frustration d’être sans pénis, pas encore le droit à l’intégrité sans produire d’enfant ?


 

Autre réserve au niveau de la réalisation, celle-là.
Agnès Varda a donné à son film sur le bonheur d’être femme en 1977 un côté bonbon-cadum un peu douceâtre : trop roses les bébés, trop gentils les adolescents, trop blondes les bouclettes de Pauline. Pomme et les courses sur les plages désertes, et les contre-jours avec soleil dans les cheveux. Agnès Varda n’est pas très loin des cartes postales de David Hamilton.


 

Heureusement qu’en arrière-plan elle a laissé voir - méfiantes devant le sourire un peu trop étudié de Pauline et surtout de Suzanne - des femmes dures, laides, grosses, encore exclues du paradis.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n° 102, avril-mai 1977


L’une chante, l’autre pas. Réal, sc : Agnès Varda ; ph : Charlie Van Damme ; mont : Joele Van Effenterre ; mu : François Wertheimer. Int : Valérie Mairesse, Therèse Liotard (France, 1977, 120 mn).



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