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Shut up and Play the Piano (2017)
de Philipp Jedicke
publié le mercredi 3 octobre 2018

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n° 390, septembre 2018

Sortie le mercredi 3 octobre 2018


 


Ce documentaire, coproduit par la ZDF/Arte, est consacré à un chanteur de variétés célèbre en Allemagne, quasiment inconnu, du moins jusqu’ici, dans l’Hexagone : le Canadien Jason Beck, alias Chilly Gonzales. Le réalisateur, le journaliste musical Philipp Jedicke, a été sensible au style d’un chanteur-pianiste dont la carrière débuta dans les années 90 par un contrat qu’il signa avec la Warner.


 

Gonzo semble avoir hésité entre le rap et le punk, deux courants musicaux apparus simultanément, une bonne vingtaine d’années plus tôt, mais également entre Paris, où il eût probablement voulu s’illustrer comme pianiste, à l’instar d’un Gainsbourg qui fit ses débuts comme pianiste de bar, et Berlin, ville ouverte, après la chute du Mur, à toutes sortes d’excentricités, musicales et autres.


 

L’exigence artistique y est sans doute moindre que le goût de la prestation baroque. Quoi qu’il en soit, c’est dans la jeune capitale allemande, excitée, selon lui, qu’un chanteur juif s’y produise, que le Montréalais se fait un nom. La scène pop lui est offerte, après le vide relatif ayant suivi le succès planétaire de Kraftwerk ou celui, plus localisé, des Scorpions, de Klaus Nomi, de Nina Hagen, etc.

Gonzo est aussi plus proche de l’autodidacte Chico Marx que du virtuose Glenn Gould ; d’un Jango Edwards, avec lequel il a en commun le côté histrion, que d’un Adriano Celentano, lui, toujours classe, avec lequel il partage le look et le sourire charmeur.


 

En flash-back, via un montage d’archives de toutes qualités techniques d’image, le documentariste reconstitue une carrière balisée de tentatives plus ou moins fructueuses, dans les formules les plus éclectiques : en solo et en vedette partagée avec un duo lesbien ; avec ses compatriotes Leslie Feist et la chanteuse Peaches seule ; en tant que percussionniste ; en tapeur de claviers de tous gabarits, du piano à queue au Melodica Hohner ; en derviche hurleur n’ayant pas peur de pousser la gueulante au maximum ; en expérimentateur techno sans autre instrument qu’une boîte à rythmes - ce côté "presse-bouton" qui met hors d’eux les "vrais" musiciens, voire des rockers patentés comme Iggy Pop.


 

Son entêtement finit par porter ses fruits. Radio Canada diffuse ses derniers disques.
On peut penser que la production même du film lui a ouvert les portes auxquelles il n’avait, jusque-là, pas accès. La scène parisienne s’offre enfin à lui. Il enregistre aux studios Ferber, ceux-là même qui ont accueilli Portal, Black Sabbath et Bashung.
On assiste à l’un de ses concerts avec Lena Buhl où l’un des membres du duo Daft Punk le rejoint sur scène en tenue de chevalier du ciel et l’adoube en public.
Jarvis Cocker, le leader du groupe britannique Pulp, lui apporte d’une phrase sa caution. Le climax du docu est atteint avec la captation en haute résolution de son concert à la Philharmonie de Cologne. Le chanteur-bonimenteur y est accompagné d’un orchestre symphonique au grand complet.


 

Il se livre bien sûr aux facéties escomptées. N’osant rivaliser au clavier, il exploite la table d’harmonie, comme John Cage au temps du piano préparé, brutalise le Bösendorfer mis à disposition comme le faisait Jerry Lee Lewis frappant des talons de ses Santiags les touches de son piano droit.
En contrechamp, on remarque les sourires amusés et inquiets des concertistes. Le chef d’orchestre se montre indulgent. Un des commentaires étant qu’un pianiste amateur comme Gonzo n’aurait pas été admis dans un conservatoire en Allemagne.
Le film n’occulte rien des points faibles du personnage à l’ego surdimensionné, parvient par là-même à le rendre humain, attachant, sympathique.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n° 390, septembre 2018

Shut up and Play the Piano. Réal, sc : Philipp Jedicke ; ph : Marcel Kolvenbach, Marcus Winterbauer ; mont : Henk Drees, Carina Mergens. Int : Chilly Gonzales, Peaches, Leslie Feist, Sibylle Berg, Jarvis Cocker (France-Allemagne-Grande-Bretagne, 2017, 82 mn). Documentaire.



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