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Chasses du comte Zaroff (les) (1932)
de Ernest B. Schoedsack & Irving Pichel
publié le mercredi 5 décembre 2018

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 326-327, automne 2009

Sorties le vendredi 16 novembre 1934 et le mercredi 5 décembre 2018


 


Après toutes ces décennies, on peut se poser des questions à propos des Chasses du comte Zaroff : tant de chasses à l’homme ont depuis été vues, tant de marécages traversés par des fuyards traqués par tant de chiens lancés par tant d’épigones ricanants du docteur Moreau ou du comte Zaroff que l’original pouvait souffrir de son innombrable postérité. (1)
Surprise immédiate : le film ne dure que 63 minutes, mais tout y est déjà installé de façon définitive, et aucun remake n’atteindra cette finesse essentielle.


 


 

La nouvelle originelle de Richard Connell était courte, le scénario de James Ashmore Creelman la suit fidèlement, sans graisse inutile : aucune séquence digressive, de la discussion initiale avant le naufrage du yacht à la chute finale de Zaroff dans son chenil, tout est sous le signe de l’efficacité maximale.


 

King Kong, tourné parallèlement par les mêmes (Merian C. Cooper, ici producteur, remplaçant Irving Pichel), avec les mêmes acteurs et dans les mêmes décors, prendra plus son temps, décrivant longuement Skull Island, jouant sur l’attente de l’apparition du monstre.
Rien de tel ici : tout est immédiatement campé, le château est réduit à la grande salle et à la cave, l’extérieur à quelques plans de forêt et de marécages, les personnages à quelques touches. Robert Armstrong balbutie, Joel McCrea énonce quelques banalités, Fay Wray (2) ne fera que hurler délicieusement de terreur (galop d’essai avant ses frayeurs devant le roi Kong).


 


 

Seul Zaroff, grand théoricien sadien, développe à loisir sa conception de la chasse au gibier humain vue comme un des Beaux-Arts. Leslie Banks, dans son plus grand rôle, caresse sa cicatrice (véritable) en roulant son œil de verre face caméra. Michael Powell n’osera filmer que son bon profil, deux ans plus tard, dans The Fire Raisers et Red Ensign) (3). Ce qui fera pouffer de rire chez Jesus Franco (4) passe magnifiquement bien : ce héros du Mal a gardé toute sa force inquiétante.


 


 

On regrette que la poursuite soit si courte (17 minutes chrono), que les pièges posés par les poursuivis soient si aisément déjoués par le poursuivant, et que Zaroff ne soit pas plus coriace. Il est toujours triste de voir le Bien triompher.
Mais le film conserve une saveur rare, dans sa naïveté originelle et avec ses beautés visuelles - les travellings subjectifs dans le brouillard du marécage, le plan ultime du canot qui s’éloigne tandis que Zaroff agonise en amorce.


 


 

La version colorisée, offerte en bonus dans l’édition DVD (Montparnasse éd.) (5) ressemble à un Technicolor bichrome d’avant 1930, et prouve la supériorité du noir & blanc dans la vividité des images-souvenirs : jamais Fay Wray ne nous serait autant restée en mémoire si elle avait été vêtue de cette robe d’un répugnant rose bonbon dont l’ont affublée les "colorisateurs".

Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 326-327, automne 2009

1. Extrait de Lucien Logette, "L’été avec RKO", Jeune Cinéma n°326-327, automne 2009.

2. Cf. "Fay Wray (1907-2004)". Entretien avec Pierre Daum (Vienne, 2002), Jeune Cinéma n° 275, mai 2002.

3. The Fire Raisers (1934) et Red Ensign de Michael Powell datent tous deux de 1934. Pendant la Première Guerre mondiale, Leslie Banks (1890-1952) avait été blessé et son visage, partiellement paralysé, avait une cicatrice.

4. Référence à La Comtesse perverse (aka Les Croqueuses) du cinéaste espagnol Jesús Franco (1974), film érotique inspiré du film de Ernest B. Schoedsack & Irving Pichel, et d’abord signé Clifford Brown. Jesús Franco Manera (1930-2013) qui signa quelque 270 films, était adepte des pseudonymes, notamment Adolf M. Frank, J.P. Johnson, David Khune ou Jess Frank.

5. Les Éditions Montparnasse ont exploré les richesses de la Radio-Keith-Orpheum Radio Pictures (RKO), une des plus intéressantes des compagnies américaines, en éditant, sur plusieurs années, une collection Il était une fois... la RKO, collection épuisée. Il s’agissait d’un échantillon représentatif jouant sur plusieurs publics et plusieurs genres, utilisant grands noms et petits-maîtres. Les Chasses du comte Zaroff en était le n°112.

Les Chasses du comte Zaroff (The Most Dangerous Game). Réal : Ernest B. Schoedsack & Irving Pichel ; sc : James Ashmore Creelman, d’après une nouvelle de Richard Connell ; ph : Henry Gerrard ; mont : Archie Marshek ; mu : Max Steiner. Int : Joel McCrea, Fay Wray, Leslie Banks, Robert Armstrong (USA, 1932, 63 mn).



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