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De Baecque, Antoine (livre)
Le Dictionnaire Pialat (2008)
publié le lundi 4 février 2019

par Vincent Dupré
Jeune Cinéma n°315-316, printemps 2008

Antoine de Baecque, éd., Le Dictionnaire Pialat, Paris, Léo Scheer, 2008.


 


Découper l’œuvre par entrées pour y voyager par renvois : c’est la formule proposée par les dictionnaires que l’on consacre désormais, aussi, aux cinéastes. Il semblerait qu’elle fasse recette, puisqu’après les dictionnaires Alfred Hitchcock et François Truffaut paraît ce Dictionnaire Pialat. (1)

Passons sur les limites ou la fertilité d’une telle approche pour nous demander si tous les grands cinéastes réclament son application. La plupart sans doute peuvent s’y prêter ou s’en accommode. Mais on peut penser que seuls autorisent légitimement cet exercice de flânerie érudite ceux dont les œuvres sont suffisamment vastes et variées, pour qu’il y ait matière à nourrir le projet encyclopédique du côté des concepteurs, et pour qu’il y ait, du côté du lecteur, un plaisir ludique à papillonner dans un entrelacs de signes en cascade, de pistes secrètes, de ramifications sans fin.

L’outil dictionnaire n’a d’intérêt que s’il aide à pénétrer, à se repérer et à éventuellement se perdre dans cela : un réseau, ou une nébuleuse. À la densité de l’œuvre doit répondre une richesse biographique, puisque l’idée est de faire aussi son miel du vécu de l’homme, ses petites maniaqueries, ses frasques, ses blessures, et de confondre imaginaire et réalité.
Enfin, il est bon que l’œuvre soit généreuse en détails fétichistes afin que le travail de compilation, de classement et d’analyse à la loupe, lui-même fétichiste, trouve sur quoi s’exercer sa méticulosité maniaque.

Pour toutes ces raisons, Alfred Hitchcock et François Truffaut étaient des choix pertinents, comme le seraient Jean-Luc Godard, Orson Welles, Jean Renoir ou Alain Resnais.

Il est regrettable que les études sur Maurice Pialat ne soient pas légion. Mais cette approche fragmentée était-elle la meilleure façon de combler ce vide et d’appréhender son œuvre ? La mettre en petites pièces, l’aborder sous l’angle anecdotique, la soumettre à un jeu de piste, n’est-ce pas aller à l’encontre de sa forme (dix films qui font bloc) comme de son esprit (plutôt fermé à la frivolité) ?

La réponse est rien moins qu’évidente, contrairement à ce que voudrait faire croire Antoine de Baecque dans son introduction lorsqu’il écrit : "La forme éditoriale du dictionnaire va bien à Maurice Pialat, dont l’univers et la biographie semblent offrir autant d’éclats, publics ou secrets, connus ou clandestins, qu’ils contiennent d’événements, de personnages, de rencontres, de films ou de projets non tournés, d’acteurs ou d’actrices, de répliques, d’habitudes, de thèmes, d’obsessions, d’intérêts et de goûts".

Bel exemple de phrase passe-partout, qui veut donner par l’énumération l’illusion d’une profusion, et par là justifier l’entreprise, mais qui ne fait au fond qu’égrener les composantes "banales" d’une vie et d’un travail de cinéaste, qu’il soit ou non de l’importance de Maurice Pialat.
Difficile de croire à la légitimité de ce dictionnaire quand on constate que le livre lui-même, à peine pris en main, n’en a ni le poids, ni le format, ni la profusion de données. (2)
La démarche amoureuse et la qualité des notules (3) ne font pas oublier le paradoxe du projet : choisir la forme du dictionnaire pour explorer une œuvre qui n’a pas suscité une littérature abondante alors que ce type d’ouvrage est d’ordinaire consacré à des artistes ultra commentés pour compiler et revisiter une somme considérable de recherches et d’informations. À supposer qu’il soit légitime, force est de constater que ce Dictionnaire Pialat arrive de toute façon trop tôt.

Vincent Dupré
Jeune Cinéma n°315-316, printemps 2008

1. Antoine de Baecque, Dictionnaire Truffaut, Paris, La Martinière, 2004 ; Laurent Bourdon, Dictionnaire Hitchcock, Paris, Larousse, 2007.

2. Les 300 entrées du livre sont sans commune mesure avec les 1500 que propose le Dictionnaire Hitchcock, signé par le seul Laurent Bourdon.

3. Les analyses pénétrantes de Vincent Amiel, sur des éléments de mise en scène (cadrage, caméra, montage…) ou sur des films (Van Gogh, Police, Le Garçu), dominent l’ensemble des contributions.


Antoine De Baecque, éd., Le Dictionnaire Pialat, Paris, Léo Scheer, 2008, 310 p. Avec les contributions de Philippe Azoury, Sonia Buchman, Jean-François Buiré, Marc Cerisuelo, Angie David, Samuel Douhaire, Jean-Luc Douin, Avril Dunoyer, Rémi Fontanel, Marie Anne Guérin, André Habib, Michel Marie, Olivier Pélisson, Natacha Thiéry, Francis Vanoye.



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