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Goretta, Claude (1929-2019) (e)
Conférence de presse, Cannes 1973
publié le samedi 23 février 2019

Jeune Cinéma n° 73, septembre-octobre 1973

Claude Goretta au travail, à propos de L’Invitation


 


Par ailleurs une industrie

 

Pour le cinéma suisse, la partie n’est pas gagnée.
Au Parlement, un certain nombre de personnes estiment qu’il faut lui retirer ses subventions. Parce que ce n’est pas un cinéma de tourisme, c’est un cinéma de constat et le cinéma de constat n’est pas toujours euphorique.
Dans une de nos Chambres, la subvention n’a été acceptée que par six voix de majorité. De plus, les budgets sont très limités : en 1972, la Confédération a accordé une aide à trois longs métrages et cinq courts métrages. Il y a eu treize primes à la qualité et trente-sept autres subventions dans le genre de bourses pour écrire des scénarios ou pour apprendre certains métiers de cinéma à l’étranger dans des écoles spécialisées, des subventions aux festivals de Nyons et de Locarno et un certain nombre de commandes pour l’éducation cinématographique.


 

Le groupe 5

 

Le Groupe 5 a été formé par cinq réalisateurs de télé qui avaient envie de faire du cinéma : au départ, Tanner, Soutter, Lagrange, Jean-Louis Roy et moi.
Il a été formé pour tourner des films avec une partie du financement assurée par la télévision. Les films étaient réalisés avec des budgets extrêmement faibles, qui ne dépassaient pas 120 ou 140 000 francs. Parmi ces cinq, il y avait trois camarades d’études, les deux autres sont venus plus tard. Il y a donc au départ une amitié qui nous lie, une certaine manière d’envisager le cinéma, une certaine approche - même si les sujets sont très différents.


 

Son direct ou non

 

Le problème du son direct est purement technique.
L’Invitation devait se tourner à la campagne, dans un parc. De l’autre côté de la haie, j’avais un chantier de construction de villa : il est évident que je ne pouvais pas enregistrer le son, on n’aurait entendu que les marteaux-piqueurs. Il y avait le lac où il y a des bateaux et de l’autre côté, une route très passante. Ce qui fait qu’on aurait toujours eu des bruits extérieurs. Si vous allez tourner en Lozère ou dans les Cévennes, vous vous éloignez des bruits et des interventions bruyantes du 20e siècle, tandis que là, il y a des problèmes insurmontables.


 

Et d’autre part, le style du film ne permettait pas le son synchrone. Si vous faites marcher dix personnes sur un sol recouvert de gravier, vous n’entendez pas le dialogue. Ce que je voulais, par rapport à la télévision, c’est filmer les gens dans leurs déplacements, dans leurs mouvements, en m’éloignant un petit peu d’eux : pour travailler en son synchrone dans un univers bruyant, vous êtes obligé de rapprocher la caméra, de travailler en plans serrés. Et je ne voulais pas cela : c’est un film où le corps a au moins autant d’importance que le visage.


 

Le travail avec les acteurs

 

Il n’y a pas de méthode. Il y a seulement la volonté de mieux connaître les comédiens en général et certains en particulier.
Mais il faut dire qu’en ce qui concerne la distribution, on est privilégiés en Suisse. On n’a pas de problèmes de différences d’accent, on ne peut vraiment pas repérer qui est suisse ou qui ne l’est pas dans le film. J’avais quinze personnages, dix Suisses et cinq Français dans la distribution. Ce n’est pas cela qui importe : c’est de travailler avec des comédiens de la même famille, avec qui on a des affinités, avec qui on a la possibilité de travailler d’une certaine manière.


 

J’en connaissais certains, j’en connaissais d’autres par intermédiaires, parce qu’ils étaient des amis d’amis - c’est comme cela qu’on agrandit la famille. J’ai le souci de regarder certaines émissions de télévision, certaines pièces de théâtre, dans lesquelles je sais que je peux trouver quelqu’un. Et puis, dans un travail de six semaines, on discute aussi des autres, et j’ai envie de rencontrer d’autres comédiens dont on a parlé et que je connaissais par intermédiaires. Je ne connaissais pas Michel Robin, mais on m’en avait beaucoup parlé. On m’avait aussi parlé de Cécile Vanor et j’ai rencontré Rosette Rochette à Genève, puisqu’elle est partie de là pour aller jouer à Paris. Et puis bon, il y a l’intuition.


 


 

Je ne fais pas passer d’audition. Jamais. J’estime qu’une conversation est aussi révélatrice que la lecture d’un texte. C’est plutôt sur ce genre de rapports, de contacts, que je base mon travail.


 

Je suis en général assez fidèle aux comédiens, c’est-à-dire qu’on retrouve certains comédiens dans mes six derniers films. Cela me permet aussi d’apprendre à connaître des aspects de leur personnalité qui n’ont pas été exprimés dans les autres films. Par exemple, c’est le cas de François Simon que je connais bien. Je savais qu’en le distribuant dans ce rôle de serveur aux gants blancs, il pouvait y avoir deux éléments, un élément de grande finesse, de grande sensibilité, et une étrangeté inquiétante, dont on ne sait pas d’où il vient. Ça, c’est au fond la connaissance plus approfondie des gens avec qui on travaille.


 

Notre cinéma est lié à une certaine manière de travailler et il importe de la maintenir si on veut continuer à faire un certain genre de films. Peut-être, là aussi, que nous bénéficions du fait que Genève est une petite ville, que les contacts sont plus faciles parce qu’on est en cinq minutes au rendez-vous, que quand les comédiens viennent travailler sur un film ou une dramatique télé, on est ensemble assez longuement, que chacun n’a pas quinze kilomètres ou deux heures de métro à faire après le tournage. Tout cela ce sont des conditions assez particulières et très favorables à cette forme de travail.

Conférence de presse post-projection, Festival de Cannes 1973
Jeune Cinéma n° 73, septembre-octobre 1973

L’Invitation. Réal : Claude Goretta ; sc : C.G. & Michel Viala, d’après sa pièces de théâtre, ph : Jean Zeller ; mont : Joële Van Effenterre ; mu : Patrick Moraz. Int : Jean-Luc Bideau, François Simon, Jean Champion, Corinne Coderey, Michel Robin, Cécile Vassort, Rosine Rochette, Jacques Rispal, Neige Dolsky, Pierre Collet (Suisse, 1973, 100 mn).



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