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Nos vies formidables (2018)
de Fabienne Godet
publié le mercredi 6 mars 2019

par Laetitia Kulyk

Jeune Cinéma n° 392-393, février 2019

Sortie le mercredi 6 mars 2019


 


Fabienne Godet s’attache souvent à mettre en scène des personnages en grande souffrance, que ce soit dans Sauf le respect que je vous dois (2006), sur le suicide sur le lieu de travail et les répercussions sur l’entourage, ou dans Une place sur la terre (2013), sur un photographe solitaire qui assiste à la tentative de suicide de sa voisine pianiste. Entre ces deux fictions, elle a signé un documentaire : Ne me libérez pas, je m’en charge (2009), sur Michel Vaujour, braqueur connu pour ses nombreuses et spectaculaires évasions.


 

Dans son dernier film, la réalisatrice suit Margot, trentenaire toxicomane qui entreprend une cure de désintoxication dans un centre isolé en pleine campagne. Elle suit ici un parcours entre souffrance et héroïsme, avec l’espoir d’un futur meilleur.


 

Les règles et le décor du film sont donnés dès les premiers plans : Margot sera coupée du monde, vivra en communauté et n’aura aucun traitement de substitution pour son sevrage. Seuls sa volonté et le soutien des encadrants et des autres pensionnaires pourront l’aider, si tant est qu’elle tienne et qu’elle réussisse à se livrer.


 

Margot est dure, marquée par une vie de violences et d’abus qui ont eu raison de sa jeunesse. Elle se donne une dernière chance, rattrapée par la communauté qui l’entoure quand elle flanche, et qui l’encourage à ne penser qu’au jour présent et à tenir jusqu’au lendemain, sans voir plus loin. Car c’est petit à petit que les étapes seront franchies et que les secrets enfouis remonteront à la surface.


 


 


 

Pour réaliser ce film poignant, Fabienne Godet s’est inspirée des destins tragiques de deux proches. En assistant à des réunions d’anonymes, elle a rencontré Régis, un thérapeute, qui lui a fait découvrir cette méthode américaine de désintoxication (et qu’elle a fait jouer dans le film). Elle a tourné au plus près de ses personnages, invitant les acteurs à vivre reclus ensemble préalablement, de manière à construire la familiarité intrinsèque à la cohabitation et la rendre subtilement perceptible.


 

Car tout dans le film est affaire de subtilité - il aurait pu autrement verser dans le sordide, la condescendance, le déjà-vu. Fabienne Godet nous immerge dans ce monde étriqué, presque cellulaire, souvent en gros plans ou plans rapprochés. Nous sommes nous-mêmes cloîtrés dans cette demeure perdue.
La caméra est au centre des cercles de parole, du quotidien, la seule échappatoire possible étant le jardin, où Margot sort parfois contempler l’horizon, sans contre-champ pour nous, qui restons fixés sur elle. Nous la suivons dans son cheminement, par étape, le film, construit comme un calendrier, respectant le nombre de jours vécus par la protagoniste. Et l’on se satisfait de voir les décades défiler, de dépasser avec elle les vingt, trente, puis les quarante jours.


 


 

Margot, c’est Julie Moulier, déjà vue dans Une place sur la terre.
Elle est ici au centre du film, captée dans toute sa fragilité, sa pudeur, sa violence intérieure. Une retenue, une vérité et une sincérité qui saisissent lorsque les mots arrivent, qu’elle parvient à se libérer du passé qui la tient en esclavage.
L’actrice a cosigné le scénario, pour mieux se glisser dans la peau de son personnage. Opération réussie : pas de fausses notes, pas de lourdeurs ni de maladresses, sur un sujet pourtant risqué, et qui aurait pu s’avérer peu convaincant. Elle est désarmante dans sa manière de se défendre, de se livrer, de se confronter enfin à ses parents. La liberté, et la revanche sur la vie, elle les acquiert à force de conviction, et c’est un film optimiste, emprunt d’espoir que nous transmet, à travers ce parcours, la réalisatrice.

Laetitia Kulyk
Jeune Cinéma n° 392-393, février 2019


Nos vies formidables. Réal, sc : Fabienne Godet ; sc : Julie Moulier ; ph : Marie Celette ; mont : Florent Mangeot ; mu : Fabien Bourdier. Int : Julie Moulier, Louis Arène, Françoise Cadol, Jacques de Candé, Bruno Lochet (France, 2018, 117 mn).



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